Restauration 

La restauration, voilà bien un secteur essentiel sur le plan économique, du dynamisme et de la convivialité d’une commune. Double confinement oblige, à Uccle comme ailleurs, il a particulièrement souffert de la pandémie. Et ne doit son salut qu’aux mesures de soutien dont il a bénéficié de la part des différents niveaux de pouvoir. Un salut provisoire : s’ils ont pu vaille que vaille garder la tête hors de l’eau, beaucoup d’établissements craignent toujours de boire la tasse. Et comptent sur leurs clients – locaux – pour ne pas se noyer. 

Uccle, 84.000 habitants, 225 établissements HoReCa (Hôtels-Restaurants-Cafés) répertoriés fin 2021 – soit 1 pour moins de 400 habitants. Mais 20 de moins qu’avant le Covid, soit un recul de 10 % sachant qu’il y a eu aussi des ouvertures, ce qui en dit long sur l’impact de la crise sanitaire sur un secteur pourtant florissant dans la commune – même si, comme le souligne l’échevine en charge des Finances, de l’Économie et du Commerce, « c’est un secteur qui connaît toujours un turnover important ». La réalité, c’est que les restaurateurs commencent seulement à sortir la tête de l’eau. Et encore. 

L’heure de la résilience ? Toutes les opinions sont sur la table. « Après un an et demi de crise sanitaire et deux longues périodes de lockdown, même s’ils ont pu reprendre cet été des activités presque normales, les restaurateurs ne sont clairement pas à la fête », poursuit Valentine Delwart. « Beaucoup ont dû manger leurs fonds propres pour tenir car il faut bien dire qu’ils n’ont pas bénéficié d’aides mirifiques. Pour certains, ce n’était plus qu’une question de semaines avant qu’ils soient contraints de mettre la clé sous la porte. »  

« Beaucoup ont dû manger leurs fonds propres pour tenir car il faut bien dire qu’ils n’ont pas bénéficié d’aides mirifiques. Pour certains, ce n’était plus qu’une question de semaines avant qu’ils soient contraints de mettre la clé sous la porte. »  

Valentine Delwart, échevine du Commerce 

À entendre la plupart des restaurateurs que nous avons interrogés, LA mesure qui leur a permis de ne pas couler comme une pierre est la possibilité offerte par le gouvernement fédéral de mettre leur personnel au chômage temporaire. Mais il y a un (gros) revers à cette médaille : c’est la croix et la bannière pour retrouver du personnel qualifié aujourd’hui ! « Une partie des gens qu’on a dû mettre au chômage pendant de longs mois s’est tournée vers d’autres activités et hésite à revenir vers l’horeca », constate Patrick Triest, qui possède deux restaurants du côté de Saint-Job.  

« C’est un effet collatéral important de la crise », remarque Valentine Delwart. « Certains ont dû quitter le secteur contre leur volonté mais ont découvert ailleurs des salaires acceptables avec des horaires moins difficiles à gérer. » Or les restaurateurs exsangues sont bien incapables, faute de trésorerie, de revaloriser actuellement les salaires. « D’autant que si nous avons pu bénéficier de l’étalement du paiement de certaines cotisations sociales et de la TVA, ce sont des montants qu’il faut rembourser alors qu’on ne tourne pas à plein régime », poursuit le restaurateur. « Un autre défi à relever ! ». 

Parlons-en, de la TVA. Ce fut un autre coup de pouce appréciable du fédéral, qui en a réduit le taux à 6 % pour la restauration en mai dernier, afin de soutenir l’horeca autorisé à reprendre ses activités – d’abord en terrasse, puis à l’intérieur. Coup de massue à la rentrée, lorsque le ministre des Finances a annoncé la fin de la mesure et le retour au taux normal dès le 30 septembre, alors que le secteur espérait la voir prolongée au moins jusqu’à la fin de l’année.  

La Meute

Arnaud Mestdagh, co-fondateur de la Meute qui a ouvert le 8 mai une deuxième adresse sur la place St-Job après le succès de l’enseigne à Flagey, en avale son filet pur de travers. « C’était une excellente mesure dont on a pu voir les effets cet été et voilà qu’à peine la restauration commence à entrevoir une timide reprise, ils la relèvent sans ménagement. Les clients qui se plaignent du prix de l’addition ne se rendent pas compte des charges que les restaurants supportent et la TVA vient en supplément. Alors qu’on subit de plein fouet l’augmentation du prix des matières premières alimentaires : celui de la viande, par exemple, a littéralement explosé. » Heureusement, tempère-t-il, que les Ucclois et les Uccloises reviennent en masse dans les restaurants de leur quartier après des mois de privation. Le sien, en tout cas, ne désemplit pas. 

Les Frères Mestdagh

« Les clients qui se plaignent du prix de l’addition ne se rendent pas compte des charges que les restaurants supportent et la TVA vient en supplément. Alors qu’on subit de plein fouet l’augmentation du prix des matières premières alimentaires : celui de la viande, par exemple, a littéralement explosé. » 

Arnaud Mestdagh, La Meute 

Un soutien sans faille 

Déception aussi du côté des primes régionales de soutien au secteur qui n’ont atteint « que » 3.000 € par établissement contraint de fermer pendant le confinement. « De quoi nourrir un sentiment d’injustice ou au moins d’incohérence totale quand on mesure les différences entre primes octroyées par les Régions à des établissements qui ont été obligés de fermer leur portes », regrette la patronne du Parvis, une institution d’Uccle-Centre. « En Flandre, l’aide était proportionnelle au chiffre d’affaires alors qu’elle était fixe à Bruxelles et sans lien avec nos frais réels, qui continuaient à courir pendant toute la période de fermeture. Sans compter l’absence de cadre pour nous aider à gérer toutes nos obligations contractuelles : loyers, assurances, Sabam, emprunts bancaires… » 

Séverine Berger salue tout de même le support actif de la commune dont elle a pu bénéficier, comme les autres restaurateurs locaux. « Je suis étonnée de voir à quel point les responsables communaux étaient présents et soucieux de nos difficultés », témoigne pour sa part Caroline Case, propriétaire de Chez Musette (coin rue Édith Cavell et avenue Montjoie), par ailleurs membre du Collectif Resto Bar Bruxelles et contrainte de déposer le bilan de son autre établissement situé à Ixelles, le Stam, à cause du covid. « Ils ont été très soutenants et ont manifesté beaucoup de bonne volonté pour faire ce qui était à la mesure de leurs moyens. On les sent très proches des commerçants. Et contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres communes voisines, on a le sentiment qu’ils n’ont pas trop insisté sur les contrôles intempestifs du respect des mesures sanitaires. » 

« À la mesure de leurs moyens », c’est par exemple ce million d’euros inscrit par le collège aux budgets 2020 et 2021 pour financer l’octroi d’une prime couvrant une partie du précompte immobilier des commerçants ucclois, rappelle l’échevine en charge. Pendant le premier confinement, la prime était comprise entre 500 et 1000 euros selon la surface commerciale. Cette année, elle pouvait grimper jusqu’à 1500 euros mais ne concernait plus que les établissements obligés de fermer pendant le second lock down, à savoir l’horeca bien sûr, mais aussi les métiers de contact et les salles de sport. « Ceux qui n’ont pas encore introduit leur demande peuvent toujours le faire jusqu’à la fin de l’année via le site web de la commune », précise Valentine Delwart pour les retardataires. 

« J’ai dû déménager pour m’installer au-dessus de mon établissement, emprunter, je travaille 15 à 17h par jour et je ne me suis pas payée depuis 2 ans… Je vous avoue que j’ai longtemps hésité à tout arrêter mais j’ai tellement de dettes que je n’ai pas le choix : il faut que j’avance. Et tout le monde est dans le même cas. » 

Caroline Case, Chez Musette 

Caroline Case, Chez Musette

Extension de terrasses 

L’autre mesure-phare adoptée par le collège – et qui fait l’objet d’une décision réglementaire et non exceptionnelle, ce qui la rend pérenne –, c’est la possibilité offerte aux restaurateurs d’installer ou d’étendre leur terrasse sur la voie publique ou les aires de stationnement, pourvu que cela n’entrave pas la circulation ni ne menace la sécurité des clients ou des passants. « Plus du quart des cafés, bars et restaurants de la commune en ont fait la demande », confirme Magali Jacques, au cabinet du bourgmestre. « Cette disposition sera désormais valable chaque année de mars à octobre », sous réserve de réintroduire une demande qui doit être validée par la police et les pompiers. 

De quoi permettre à de nombreux établissements « de s’ouvrir sur leur quartier », avec un effet bénéfique sur la convivialité… et la survie des restaurateurs, souligne l’échevine Delwart. En particulier pour ceux qui n’avaient pas la possibilité de recevoir des clients à l’extérieur alors qu’à la sortie du dernier confinement en mai, seul l’accueil en terrasse était d’abord autorisé. « Pour beaucoup, c’était la seule possibilité de rouvrir en même temps que les autres. Du coup, nous avons été extrêmement créatifs pour permettre à tous ceux qui en ont fait la demande de l’obtenir – peut-être pas toujours dans l’ampleur souhaitée », sourit l’édile. Dépourvu de terrasse au tout début de l’avenue Xavier De Bue, à côté du pain Quotidien, le Parvis avait bien tenté d’obtenir l’autorisation d’en installer une sur… le Parvis Saint-Pierre, devant l’église, ce qui lui a été refusé. « Mais la commune nous a fait la fleur d’assimiler notre véranda à une terrasse, ce qui nous a heureusement permis de rouvrir dès le 8 mai dernier », souffle Séverine Berger. 

Propriétaire de deux restaurants déjà pourvus, eux, d’un bel espace extérieur, Patrick Triest n’a pas eu besoin de profiter de la mesure d’extension mais n’en salue pas moins l’initiative communale qui « a été une très bonne chose pour les clients et une bouée de sauvetage pour tous les restaurateurs qui ont pu en profiter. » Ses deux établissements reprennent aujourd’hui du poil de la bête « à deux vitesses » : au Guignol, « les clients reviennent mais ce n’est pas encore l’affluence d’avant. On voit aussi que les gens ont changé leurs habitudes. Certains ont redécouvert le fait de cuisiner, se sont habitués au take away ou restent moins longtemps au restaurant. »  

« Les clients reviennent mais ce n’est pas encore l’affluence d’avant. On voit aussi que les gens ont changé leurs habitudes. Certains ont redécouvert le fait de cuisiner, se sont habitués au take away ou restent moins longtemps au restaurant. »  

Patrick Triest, Le Guignol 

Au Charlu, c’est plus difficile encore. « Peut-être parce qu’il s’agit d’une clientèle plus âgée qui a encore du mal à sortir et à revenir sereinement au restaurant. » Patrick Triest y a bien tenté la vente à emporter, mais a dû renoncer après trois semaines à perte. « Le restaurant n’en avait jamais fait, il n’y était pas préparé et sa carte ne s’y prêtait pas. » Au contraire du Guignol, où le take away existait déjà et a bien fonctionné pendant la pandémie. « Mais en limitant les frais au maximum : en pratique, c’est ma compagne et moi qui le faisions tourner ! » Conclusion du restaurateur après « un été pourri qui n’a rien arrangé » : « on s’est battu pour éviter la faillite des deux restaurants, on est loin d’être rétabli et d’avoir récupéré tout ce qu’on a perdu, mais on est content de revoir les clients. » 

Chez Charlu, à table @DR

Matthias Van Eenoo, lui, c’est son personnel qu’il est content de revoir. « La restauration est un métier où on se voit et on travaille ensemble tous les jours », commente le propriétaire du Brugmann, une enseigne gastronomique bien connue logée sur l’avenue et près de la place du même nom. « Être séparés, c’est drôle une semaine mais pas au-delà. Avec mon équipe (environ 25 personnes, ndlr), on a profité de la crise pour resserrer nos liens. On a créé un groupe WhatsApp, on se parlait régulièrement, on allait marcher ensemble… » Une autre façon de se serrer les coudes pour affronter l’adversité et revenir plus fort quand le pire est passé. « Ce qui est perdu est perdu », ajoute le jeune chef de 35 ans. « Mais moi je regarde vers l’avenir : il faut être orienté solution, travailler et avancer, c’est le rôle d’un patron. Le plus important en fin de compte, c’est l’humain. On s’est tous rapprochés et on a aujourd’hui un meilleur contact encore avec le client. » Qui le lui rend bien, manifestement, puisque le Brugmann a pratiquement retrouvé son rythme de croisière et a même pu réembaucher du personnel. 

La Meute

Comme partout ailleurs à Bruxelles, la situation apparaît contrastée. « Les gens veulent à nouveau sortir, se faire plaisir, découvrir de nouveaux établissements », se réjouit Arnaud Mestdagh. Voilà pour la tendance. Suffira-t-elle à relancer la machine ? « Je suis toujours sur le fil, je n’ose rien investir, j’ai dû déménager pour m’installer au-dessus de mon établissement, emprunter, je travaille 15 à 17h par jour et je ne me suis pas payée depuis 2 ans… Je vous avoue que j’ai longtemps hésité à tout arrêter mais j’ai tellement de dettes que je n’ai pas le choix : il faut que j’avance. Et tout le monde est dans le même cas », lâche Caroline Case.  

Tout le monde, aujourd’hui, s’accorde surtout à montrer du doigt un nouvel ennemi commun : le Covid Safe Ticket entré en vigueur le 15 octobre à Bruxelles et qui oblige les restaurateurs à contrôler leurs clients pour refuser ceux qui ne peuvent pas montrer « pass blanc ». « Mettre le CST en place dans le contexte actuel, c’est un crime, les gens ne vont plus oser venir », ose Séverine Berger. « Surtout les personnes plus âgées et à revenus modestes : elles ont peur du CST, de la hausse des prix de l’énergie et de tout ce qu’elles lisent et entendent à longueur de journée. »  

Le Guignol, chaussée de Saint Job

Encadré 

L’horeca ucclois en chiffres 

En octobre 20021, la commune comptait : 

– 20 cafés et tavernes 

– 138 restaurants et pizzerias 

– 63 établissements de petite restauration 

– 4 de restauration rapide 

Soit 20 de moins, au total, qu’un an plus tôt.