Théâtre    Le 15.12.21   

Après une tournée mondiale, Notre Empire débarque pour la première fois en Belgique, au Centre culturel d’Uccle ! 

Une vaste maquette de l’archipel indonésien remplit la scène, avec des rizières, des forêts tropicales, des villages et des villes, peuplés de centaines de marionnettes de 8 cm de haut… 

Une prodigieuse reconstitution du processus de colonisation de l’Indonésie au XVIIe siècle sans tabou, sans fard, avec marionnettes, films et maquettes.  

Notre Empire (c) Bas Czerwinski

Dans le chaos d’une fusillade, les coups de feu retentissent en salves assourdissantes. Les nuages de fumée des armes à feu obscurcissent la vue, mais lorsqu’ils se dissipent, nous constatons que les armes à feu ont clairement été efficaces. Les victimes ensanglantées gisent à terre : des hommes, des femmes, des enfants…  

Cette scène n’est pas tirée d’un film d’action, mais de la dernière pièce de la compagnie néerlandaise Hotel Modern, Notre Empire.  

Ce spectacle, première partie d’une trilogie qui s’annonce fascinante, montre le meilleur du théâtre d’objets où, ici, l’accent est mis sur un magnifique jeu entre les figurines – qui sont un régal pour les yeux, pleines de trouvailles et de détails ingénieux – les caméras et les trois comédiens, et le film projeté à l’écran.  

Nous y voyons des marchés animés où se vendent muscade et clous de girofle, des danses élégantes à la cour royale; nous y voyons des villages en flammes et des machinations politiques à bord d’un navire de la Compagnie hollandaise des Indes orientales, nous voyons des batailles navales, une délégation néerlandaise apportant des cadeaux, année après année, à la porte du tribunal de Mataram, à un souverain despotique à tête de toucan et des princes qui vendent des épices et leur âme aux Hollandais.  

Notre Empire (c) Bas Czerwinski

Batailles, embuscades, récoltes, négociations et duplicité, tromperie et intrigue, richesse des royaumes et cupidité des envahisseurs : tous ont un rôle à jouer dans Notre Empire. Dans une reconstitution à couper le souffle, Hotel Modern retrace avec audace, poésie, compassion, humour et ingéniosité ce que fut ce processus de colonisation de l’Indonésie par les Pays-Bas.  

Spectacle en néerlandais sous-titré en français. 

S’il le souhaite, à la fin du spectacle, le public est invité à monter sur scène afin de découvrir plus en détail la maquette, prendre des photos et/ou poser ses questions.  

Notre Empire – Soldats violant une femme (c) Bas Czerwinski

Prix Wim Meilink, décerné par l’Association néerlandaise de la marionnette 

 A 19 h 30 – Durée 1 h  > 12 ans  Tarifs : de 9 € à 18 € 

Spectacle joué en néerlandais surtitré en français. 

Concept, créateurs et interprètes  Herman Helle, Arlène Hoornweg, Pauline Kalker 

Bande sonore  Arthur Sauer 

Aide à la recherche  Prof. dr. Henk Schulte Nordholt, Tristan Mostert MPhil and dr. Alicia Schrikker (University of Leiden), Marjolein van Pagee MA, Irwan Ahmett, Bart Westenbroek, dr. Tom van den Berge, Simon Kemper, drs. Mark Loderichs and others  

Production  Cie Hotel Modern 

Avec le soutien de  Performing Arts Fund NL, City of Rotterdam 

La cupidité hollandaise en Indonésie 

Interview  

« Que faites-vous d’un tel héritage, pour l’amour de Dieu ? » 

Dans Notre Empire, grâce à la réalisation de saisissantes maquettes, la compagnie Hotel Modern explore de manière vivante et imaginative comment les Hollandais ont établi avec violence et duplicité leur empire commercial dans l’archipel indonésien.  

L’artiste visuel, sculpteur-plasticien et comédien Herman Helle, membre d’Hotel Modern, nous raconte la genèse de Notre Empire.

La colonisation hollandaise, est-ce un passé avec lequel vous ressentez un lien personnel ?  

« Mes parents sont nés en Indonésie. Mes quatre grands-parents y sont venus des Pays-Bas. Ainsi, même si j’ai grandi dans le polder néerlandais, nos vies à la maison étaient imprégnées d’un sentiment du « bon vieux temps » en Indonésie, appelé le tempo doeloe. Mes parents voulaient que nous ayons une enfance aussi merveilleuse que la leur : nous marchions pieds nus ; nous mangions de la nourriture indonésienne; les gens venant d’Indonésie étaient des visiteurs bienvenus. Pour autant que je sache, nous étions Indonésiens. Mes parents n’étaient pas des envahisseurs, et en ce qui me concernait, ils avaient parfaitement eu droit à leur merveilleuse jeunesse. Mais ce récit heureux se heurte à la réalité historique, qui a beaucoup d’aspects sombres. Et c’est aussi ce qui la rend très intéressante. Car que faites-vous d’un tel héritage, pour l’amour de Dieu ? » 

Mais Notre Empire va bien au-delà de votre histoire personnelle, non?  

«Oui. Je me demandais depuis longtemps si je devais utiliser ma propre histoire familiale pour créer une pièce de théâtre. Je sais tout sur le tempo doeloe, mais cela a déjà été raconté des centaines de fois et puis je me suis dit qu’il serait peut-être plus intéressant de faire quelque chose à propos de la guerre d’indépendance d’Indonésie. Pour ce faire, il fallait revenir au début du 17ème siècle lorsque les Hollandais ont pris l’île d’Ambon aux Portugais. Nous terminons dans la capitale coloniale néerlandaise Batavia [maintenant Jakarta] en 1670, époque à laquelle la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales  a obtenu le monopole du commerce des épices. C’est l’histoire que nous voulions raconter – celle du point de vue des Indonésiens. 

Comment avez-vous fait pour recréer les incroyables détails de la maquette ?  

Pour nous faire une idée de ce qui s’est passé et des conditions de vie des différents groupes de population à cette époque, nous avons consulté des sources historiques et nous nous sommes entretenus avec des historiens. Ce qui n’a pas facilité le travail. Car ce qui vous rend fou, c’est qu’il y a tellement de choses que vous ne savez pas. Par exemple, les îles de Banda – là où le gouverneur Jan Pieterszoon Coen a perpétré un massacre* – étaient autrefois le seul endroit au monde où la muscade était récoltée et pendant longtemps le commerce mondial de l’épice était basé sur ces seules îles. Nous n’avons pu qu’imaginer que ses habitants devaient être richement vêtus. Les maquettes de villages que nous avons construits pour la pièce sont donc basées sur d’autres îles des Moluques.  

Ça devait représenter un véritable travail de titan ? 

Hotel Modern a passé un an à construire les maquettes de Notre Empire, et un soin similaire a été apporté à la composition par Arthur Sauer au niveau de la musique et des sons qui accompagnent les scènes et donnent de l’atmosphère. On a ici aussi choisi une approche documentaire. Arthur Sauer a ajouté une couche de sons atmosphériques, en mettant l’accent sur des sons plus retentissants lorsque de bonnes choses arrivent, et des sons plus feutrés pour représenter le mal. En dehors de cela, on a rassemblé autant d’enregistrements qu’on a pu trouver d’insectes et d’oiseaux appartenant aux îles où se déroule la pièce. Le son le plus réussi, je pense, est lorsqu’un navire portugais coule lors d’une bataille navale. Il n’était pas possible de le représenter visuellement. Arthur Sauer a utilisé les sons de cannes de bambou qui claquent. Cela lui a pris dix jours pour le faire…  

Françoise Laeckmann