Léon Craps 

Il l’a été trois fois. D’un Uccle qui tient en une seule rue. Un Uccle presque disparu, sentant la kermesse, la chope et la classe moyenne qui n’a pas oublié qu’elle a été ouvrière. Un vrai de vrai, donc. Qui connaissait la commune comme sa sacoche. Et qui n’a pas complètement tout oublié.  

C’est Léon qui ouvre. Ici, c’est comme ça : Léon accueille et Mariette raccompagne. Léon Craps et Mariette Dufrasne. Léon, « un echte brusseleir », il répète, « mais ma mère était de Strijtel, sur la route de Ninove ». Enfin, « plutôt de Pamel », se permet Denise, sa belle-sœur arrivée de Drogenbos. Et Mariette, qui est du Borinage, « Jemappes », elle précise, « et mon père travaillait à la mine à Flénu ». Mais depuis presque soixante ans, Léon et Mariette sont d’ici. Du 27, rue Asselbergs. De cet autre Uccle, « le vrai » assène Léon. Un Uccle très proche, dans l’allure, l’esprit et le goût, de ce qu’étaient les Marolles, de certains coins qu’on trouve encore à Laeken aussi. Du Bruxelles de « Lange Jojoqui a tiré son parapluie, il avait 85 ans, comme moi ».   


« À cette époque, dans le quartier, on allait boire un godet au Pot d’Or et on aimait les boules. On a donc créé le club La Pétanque d’or… » (c)Cilou de Bruyn

Un peï, Léon. Qui a été dans les années 1980 « trois fois bourgmestre d’Uccle ». Uccle se résumant dans ce cas précis à la rue Asselbergs. Qui a fait pendant trente-sept ans encaisseur de banque : « La Banque de Bruxelles. J’avais un uniforme, une sacoche, 200 ou 100 clients par jour, j’allais chez eux avec un effet, autant à payer, allez, et j’encaissais l’argent. Les dettes qu’ils avaient. Écoutez bien : si vous signez un prêt à gauche ou à droite, quelqu’un arrive à la fin du mois hein. Faut pas être ingénieur pour savoir ça. »  

Qui proclame que, « chez nous, c’est sacré, on picole ». D’ailleurs, il y a un comptoir, en bois, avec pompe, qui trône dans le salon. Et les murs, jusqu’aux étages, sont des vitrines avec des verres à bière de toutes les tailles, toutes les marques. Des lampes de mineurs aussi, mais ça c’est la collection de Mariette, Pilou comme l’appelle Léon.  

Qui dit « on m’a opéré au cœur ouvert, retiré des trucs, même un morceau d’orteil, on m’a fait assez de piqûres comme ça, alors le vaccin hein ». Qui raconte que, « écoutez bien, j’ai connu les Allemands défiler dans la rue ici hein. J’ai vécu avec des vaches. Mon grand-père maternel avait neuf filles, il les casait comme c’était possible. Ils faisaient les fraises. » 

Entre une époque et une autre, une meï et un endroit, une réflexion et un événement, une blague et une photo, il faut suivre. Et remettre les choses en ordre. « Faire tourner ça en farine », comme il dit. Merci, Léon. Bon, tentative : 

Comment ils se retrouvent à Uccle Centre« Mes parents arrivent à Homborch dans les années ‘30. Puis, ils logent dans une maison au Groeselenberg. Pendant la guerre, où mon père est parti, ma mère est expulsée par les Allemands. Elle est à la rue, avec deux moutards – mon frère, Emile (dont Denise, la belle-sœur de Drogenbos, est la veuve), et moi –, et elle est enceinte de ma sœur, Jacqueline. Elle se retrouve grâce à la solidarité du quartier dans une dépendance du château Paridaens, au chemin de la Source. J’y suis resté jusqu’à mon mariage, en 1959. On a alors habité rue des Glaieuls. Puis, un an à Ixelles, où les parents de ma femme étaient, parce que c’était plus facile avec l’arrivée de Véronique, notre fille. Et on est venu ici le 3 février 1963. Et on y est toujours. C’est ici qu’est né Bernard, notre fils. On a eu deux enfants, mais ils sont morts, tous les deux. On a sept petits-enfants. » Mariette intervient : « Mon papa avait attrapé la maladie des mineurs alors mes parents sont venus à Bruxelles. Ils étaient concierge au numéro 20 boulevard Général Jacques, le plus haut building de Bruxelles à l’époque, c’était en 1947, on l’appelait ’’le dix-sept étages’’. Puis il a été huissier de l’Assurance Liégeoise, avenue Louise, et ma maman concierge. Comme j’habitais là, après avoir été au cinéma, L’Elysée, le Tivoli ou le Bristol, j’allais boire un verre à Uccle. C’est comme ça qu’on s’est rencontré, avec Léon. » 

Comment il fait encaisseur de banque à Uccle. « Quand je suis rentré à la banque, je nettoyais, les parquets, tout le bazar, mais à midi on mettait une veste blanche et on servait les employés, qui avaient un ticket pour le repas. Un bonhomme que je servais tous les jours me dit : ’’Pourquoi vous passez pas votre examen ?’’  Et moi : ’’Mais je sais pas lire ni écrire, qu’est-ce que je vais aller foutre landans ? ’’ Il me dit : ’’ Vous savez calculer ?’’ ’’Oué », je dis. Je passe l’examen et c’est lui qui le faisait passer…  Je partais à 6 heures, en tram, le chef me disait ’’Tu pars en tournée là.’’ On était trente ou quarante hein. Après, j’ai eu de la chance : mon ami, Neukemans, qui était le brigadier, il m’a dit : ’’Léon, y a une place pour toi’’, et il m’a mis sur Uccle. Je faisais d’autres secteurs aussi hein, Etterbeek, rue d’Aarschot, des impasses, quand un autre était malade ou quoi ou qu’est-ceA la fin, avec le système de financement qui a évolué, les ordinateurs et tout ça, on n’était plus que deux : Théo, qui était mon copain, et moi. J’ai travaillé jusqu’à mes 68 ans. » 

Léon Craps (c)Cilou de Bruyn

Comment il est devenu bourgmestre de la rue Asselbergs.  « Je remontais la rue. Et Madame Keiser vient vers moi :’’Monsieur Craps, est-ce que vous voulez bien être bourgmestre d’Uccle ?’’ Je luis dis ’’Je vais demander à ma femme qu’est-ce qu’elle en pense.’’ Parce que, être bourgmestre, ça veut dire que tout le monde vient picoler à la maison. Et ma femme a dit ‘’’On y va.’’ Et on a fait toutes nos fêtes. » Mariette intervient : « Cette rue, c’est chez nous. A l’heure actuelle, on connaît moins de monde mais avant, qu’est-ce qu’on s’est amusé ! Dès qu’on pouvait, on fermait la rue, avec des ballots de paille, on mettait des tables, Léon et ses amis descendaient sur des skateboard, assis hein. On faisait Saint-Nicolas, pour les enfants du quartier, avec des bonbons grâce à des bons Colruyt. Une centaine d’enfants ! Et pour le home de vieux aussi, qui n’existe plus maintenant. » Ils y ont aussi créé un club de pétanque, dans les années 1970. « Au bistrot plus loin, qui s’appelait Le Pot d’Or. C’est pour ça que le club, c’est pas difficile, c’était La Pétanque d’Or. » 

Comment il faisait la fête. « « Ma femme veut plus que je vais à la rue : je suis tombé quatre-cinq fois… Mais avant, moi, j’étais un peï de bistrot, faut être honnête. Ça c’est une photo au Libertas, justement, avec Emile. Il existe plus non plus ce cafè. Et j’ai fait toutes les foires de Saint-Job. Des fêtes incroyables. Avec des vaches et tout. Quand j’étais jeune, j’allais parfois dans les dancings aussi, avec deux copains, Aloïs et Max. Il y avait le Regina, chaussée de Waterloo, mais, faut être honnête, j’ai jamais su danser. Je restais au comptoir. C’est pour ça que ma chanson préférée c’est… Mickaël…, allez, comment y s’appelle ce pei, il est à la mode mainant, il chantait ’’et nous on restait au comptoir’’. » Léon Craps se lève, fouille dans une armoire et revient avec un vinyle, un 33 tours, de Michel Sardou. La chanson, c’est Les bals populaires (1971). « Mais mon Uccle à moi, il a disparu : on revenait du boulot, on passait au bistrot, tout ça s’est fini. Mainant, on va au restaurant avec des bretelles. » 


L’invitation officielle de Léon le bourgEmestre à la fête de juin 1986.

Comment il a photographié tout Uccle. « Je marchais partout, pour mon travail, alors j’emportais mon appareil. Je prenais tout ce qui m’intéressait. Des chantiers, des événements dans les rues, la grande tempête avec les arbres à plat dans le Wolvendael, les coulisses du cirque Pauwels, au Bourdon, on a pris une cuite là… Je suis même monté dans la tour de la Couronne, ça a été rasé ça. Un simple appareil, attention. Mais il y a des photos, personne a ça. Je suis certain que, il y en a, on m’en donnerait 1 000 francs. »