L’Observatoire

Sur un peu moins d’1,5 km, l’avenue Circulaire ceinture le pôle scientifique fédéral le plus important du pays. Et la cohabitation d’habitations de styles architecturaux hétéroclites, témoins de l’évolution d’un quartier exceptionnel.

Observatoire royal de Belgique : 3, avenue Circulaire. Institut royal Météorologique : 3, avenue Circulaire. Institut royal d’Aéronomie spatiale de Belgique : 3, avenue Circulaire. Centre d’excellence belge sur le Climat : 3, avenue Circulaire. Sur le plateau d’Uccle, la chaussée qui forme un cercle d’1 kilomètre 325 mètres est, en termes de recherche scientifique fédérale, le centre de la Belgique. C’est de là qu’on étudie le ciel et le sous-sol, le Soleil, les planètes…Astronomie, astrophysique, sismologie, planétologie, géophysique, géodésie spatiale, physique solaire, climatologie, météorologie… Un authentique QG scientifique, inauguré en 1890, propriété de l’Etat, et qui n’a pas cessé de se développer depuis. Preuve encore cette année, durant laquelle le Centre d’excellence Climat doit être inauguré. Au total, le site occupe une superficie de 28 000 m2  de bâtiments et pavillons, où travaillent un total d’environ 500 personnes.


L’allée centrale menant à l’Observatoire.(c)CdB

Un quartier-joyau, donc, pour la commune aussi. Aucune autre en Belgique ne concentre autant d’institutions scientifiques fédérales (on doit y rajouter une antenne de Sciensano, l’Institut de Santé publique, rue Engeland, à quatre petits kilomètres de pôle dont l’Observatoire est le phare). Un quartier étonnant, aussi. Le QG scientifique est juché dans un parc bordé d’arbres et ceinturé par une haute clôture, où la présence de caméras est dûment signalée. Ses bâtiments, très hétéroclites, celui-ci avec coupole (plus ou moins six mois de travail pour rénover chacune et 250 000 euros de coût), celui-là très anguleux, l’un couleur sable, l’autre préfabriqué, sont éparpillés dans cet espace vert, sorte d’immense rond-point au sommet d’une crête, vers lequel convergent sept rues pentues. Sur le trottoir d’en face, tout le long du cercle que forme le pôle, des habitations de styles très différents se côtoient, avec plus ou moins de bonheur, plus ou moins d’harmonie. Mais elles racontent toutes l’évolution des lieux, sur un peu plus de 130 ans. Chacune, par son architecture, se faisant porte-drapeau d’une époque.


Le bâtiment construit en 1950, à l’angle des avenues de l’Equateur et Lancaster, pour la centrale téléphonique d’Uccle. Signé Gaston Brunfaut, donc de style moderniste. L’une des merveilles architecturales le long de l’avenue Circulaire. (c)CdB

L’installation à la fin du XIXe siècle

C’est en 1890 que l’Observatoire s’installe dans ce qui va devenir l’avenue Circulaire.  A l’époque, raconte Anne Hustache dans Le quartier de l’Observatoire d’Uccle, un ouvrage de 34 pages édité en 1995 par le Service des Monuments et Sites de la Région bruxelloise, l’endroit, « dit ’’plateau de Saint-Job’’, situé entre les vallées de l’Ukkelbeek et du Geleytsbeek, présentait une situation idéale : une surface plane, surélevée et surtout, vierge de toute habitation. En effet, des champs cultivés et des bois – le Wilgeveld et le Rondeyckenveld – s’étendaient uniquement autour de quelques chemins : une voie ancienne appelée le Dieweg, que traversait le Brusselweg (actuellement rue Edith Cavell et rue Copernic). A l’ouest du Brusselweg, et à partir du Dieweg, descendait un chemin vers la vallée de Saint-Job, le Den Dorenveldstrate. C’est à l’intersection de ces deux dernières voies vicinales que l’Observatoire fut établi ». L’historienne de l’art puise dans les archives de la commune un commentaire « décrivant sans équivoque la parcelle qu’elle cédera bientôt à l’Etat : ’’Ce terrain, par les broussailles, ronces d’une part, le chemin d’autre part, forme un coin perdu sur lequel on dépose depuis un temps immémorial des décombres, immondices, déchets de culture’’. Et donc, « cette portion de terre rejoint les autres terrains qui sont nécessaires au futur établissement scientifique et qui appartiennent pour la plupart à des propriétaires privés ». Et que l’Etat belge rachète, donc.

L’Observatoire était alors, et depuis 1833, situé à Saint-Josse, à la Porte de Schaerbeek, un lieu à l’origine assez désert. Avec les années, de plus en plus d’immeubles et d’habitations y apparurent, le trafic s’intensifiant en conséquence : clairement, l’endroit n’était plus idéal pour les observations du ciel, d’autant que de nouveaux instruments, plus volumineux, ne pouvaient y entrer. Un déménagement fut dès lors décidé. Et le choix se porta sur le plateau d’Uccle, où les travaux commencèrent en 1883. C’est, relate Anne Hustache, « dans cette vaste campagne que vint s’inscrire le cercle parfait de douze hectares qui contiendra les bâtiments du futur Observatoire. L’établissement fut ceinturé d’une large avenue dont la forme circulaire lui fournira spontanément son nom. Afin d’aménager ce territoire géométriquement impeccable, une portion du Dieweg fut sectionnée, tandis qu’à l’est, la portion restante s’appela dès lors avenue de l’Observatoire. Le début du Den Dorenveldstrate fut également supprimé ».

Aujourd’hui, l’avenue Circulaire est aussi reliée à l’avenue Houzeau, l’avenue des Statuaires, l’avenue de Mercure, l’avenue de Saturne et la rue de l’Equateur. Le site de l’Observatoire, lui, s’est enrichi au fil des années de l’IRM (en 1913), d’une station radioastronomique équipée de plusieurs radiotélescopes (1954), de l’Institut d’Aéronomie (1964) et, entre autres, du futur Centre d’excellence pour le climat (prévu cette année).

Voyage dans le temps et les anachronismes

Tout autour, fleurissent des demeures, des manoirs, des immeubles et résidences à appartements. L’historienne de l’art rappelle que « pendant longtemps, le plateau de Saint-Job fut recherché pour son aspect campagnard : à côté des quelques grosses propriétés, les maisons qui s’y implantent sont essentiellement des lieux de villégiature, comme en témoigne la maison de campagne construite par Victor Horta pour l’avocat Frison. Dans l’entre-deux guerres, l’urbanisation du site s’accéléra et s’intensifia encore durant les années 50 afin de conférer au quartier de l’Observatoire son visage d’aujourd’hui, celui d’une périphérie urbaine privilégiée qui se trouve envahie, ces dernières années, par la construction de blocs à appartements de luxe qui grignotent inexorablement les ultimes îlots de verdure ».

Dès lors, parmi les constructions qui subsistent, on découvre ici « (tels le Château de Beco, l’ancien château Cherridreux… ) la structure d’obédience gothique (tourelles, toitures multiples, aspect parfois fortifié) est ornée de motifs diversement empruntés aux styles classique et baroque, ou encore Renaissance ». Là, d’anciennes maisons de campagne dont la plupart « sacrifient à la typologie du cottage anglais : toitures débordantes à découpes multiples, décrochements divers, utilisation en abondance du bois ». Peu d’Art Nouveau mais pas mal d’Art Déco et de courant moderniste : « Les meilleurs représentants belges de ces tendances ont eu l ‘occasion d’accepter des commandes dans ce quartier devenu résidentiel : Louis Herman De Koninck, Adrien Blomme, Henry van de Velde, Victor Dirickx… Enfin l’architecture contemporaine y pose aussi quelques jalons déjà significatifs avec les personnalités de Jacqmain, Bontridder et Dupuis ».

Longer la boucle dans laquelle bat le cœur d’une certaine recherche scientifique belge équivaut donc à cheminer à travers le temps. Un temps comme désordonné, truffé d’anachronismes. Des antennes de stations spatiales mais qu’on dirait sorties d’un ancien film de SF. Une statue vert de gris du roi Baudouin marchant, mains derrière le dos, sous un arbre déployé comme une cape et bientôt bicentenaire (il a été planté par la commune le 21 juillet 1930). Une façade en briques jaunes qui semble encore en cours de construction. Un jardin comme sur une carte postale d’avant-guerre, avec les traces de lierre sur les murs. Une barrière de sécurité ultra-moderne devant une villa des années 1920. Un abri pour voitures, tout de carré et de béton, à côté d’une conciergerie toute en pierre et rondeurs.

Un quartier où rien n’est pareil à rien. Un vaste cercle solaire. Dont l’épicentre est le 3, avenue Circulaire. L

L’Observatoire n’est généralement pas accessible au public. Des week-ends « portes ouvertes » ont régulièrement lieu.  Infos : www.astro.oma.be