Homborch

Le quartier, bientôt centenaire, retrouve « sa » fête, le 22 mai. Aux couleurs et saveurs uniques. Comme l’est le Homborch. Un jardin qui rit souvent et une cité qui trinque autant.

Deux mots. Deux mots tout simples qui résument et englobent tant d’histoire, de réalités, de contradictions, de singularités, d’amalgames et de complexités. « Cité » et « jardin ». Le premier est volontiers utilisé avec un petit hochement de tête désolé, grave ou soucieux. « Cité », donc quartier difficile, défavorisé, plutôt la zone, plutôt la lose. Comme, en France, on dit « banlieue », ou « HLM ». Et puis le second, qui recouvre le gris induit par le premier. Qui en contrebalance la rouille, l’infortune et le béton. « Jardin », donc verdure, fleurs, parfums, plutôt l’aubaine, plutôt la sérénité. Comme on dit « déjeuner sur l’herbe », ou « confiture de fraise ». Depuis qu’il est devenu quartier, il y aura bientôt cent ans, le Homborch repose, vibre et bute sur ces deux mots-là. Et tout ce qu’ils contiennent. De dureté et de douceur.

Des champs inhabités à la cité Grand Air

Au tout début, et pendant longtemps, ce n’était que prés vallonnés. On trouve trace du toponyme « Homborch » ou « Homborgh », pour la première fois en 1450. On dit que ce nom est dû à celui de la ferme (démolie au XIXe siècle) qu’y occupait alors la famille Van Homborch, pas loin. Dans Ucclensia, la revue du Cercle d’histoire d’Uccle, Jean-Marie Pierrard décrivait en mai 1998 « l’espace compris entre la rue Engeland, le chemin de la Forêt, l’avenue des Hospices, la limite de Linkebeek, la rue du Bourdon et la rue du Château d’Or au XVIIIe siècle » en ces termes : « Deux grands champs se partageaient une bonne partie de cet espace : au Nord le « Groulst veldt », dont une rue d’Uccle évoque encore le nom, et au Sud le « Homborghsveldt », dépendant de la ferme de Homborgh située de l’autre côté de l’avenue des Hospices. »

Cité-jardin du Homborch (c)Patrimoine.Brussels

Et puis, après la Première Guerre mondiale, parce que c’était temps de crise aiguë du logement, gouvernement belge et architectes modernistes décident de s’inspirer de la vision de l’urbaniste anglais Ebenezer Howard : fin XIXe, il avait prôné la création de nouvelles aires d’habitations, autour des celles existantes, parce que, écrit-il en 1898 dans son livre Garden Cities of Tomorrow,« ville et campagne doivent être mariées. De cette union joyeuse découlera un nouvel espoir, une nouvelle vie, une nouvelle civilisation ». Il s’agirait donc d’ériger des « cités-jardins », où l’air serait sain et l’habitat confortable, où y logeraient des ouvriers, des revenus modestes qui deviendraient coopérateurs des sociétés gérant les lieux. La Société nationale des Habitations à bon marché est donc créée en 1919 : elle a pour rôle, rappellent Laure Eggericx et Yves Hanosset dans Les cités-jardins Le Logis et Floréal (2003, collection Bruxelles Ville d’Art et d’Histoire) « de prêter aux sociétés locales de construction l’argent à faible taux (2,75 %) sur une longue durée (66 ans), facilitant ainsi l’apparition d’associations oeuvrant au comblement du déficit du logement ».

Ces associations seront des sociétés coopératives. Les résidents seront donc à la fois locataires et copropriétaires de leur habitation. Les terrains à bâtir pas chers, les matériaux modernes et les modèles de maisons identiques pour limiter les coûts.  L’idée est donc autant motivée par des raisons économiques que sociales. Et idéologiques, précisent Laure Eggerickx et Yves Hanossety : « À nouvelle société égalitaire, nouvelles conceptions du cadre de vie. La spéculation immobilière est rejetée au profit de la gestion collective du bien. Face au problème d’hygiène et de promiscuité que génère l’habitat collectif, la Société nationale privilégie dès 1920 le modèle des cités-jardins préconisé par les modernistes. » Bref, entre les deux-guerres, vingt-et-une cités-jardins éclosent un peu partout dans Bruxelles : à Watermael-Boitsfort, Le Logis (1921) et  Floréal (1922) ;  à Auderghem, la cité Van Lindt (1922) ; à Berchem-Sainte-Agathe, la Cité Moderne (1925) ; à Schaerbeek, la cité Terdelt (1926) ; à Anderlecht, la cité de La Roue (1920), la cité Bon Air (1921) et la cité Mortebeek (1923) ; à Evere, le Tuinbouw (1922) ; à Woluwe-Saint-Lambert, la cité du Kappelleveld (1926). Et à Uccle, la cité Grand Air. Ou Homborch.

« Est-il situation plus salubre qu’au Homborchveld ?»

C’est l’architecte Fernand Bodson qui est chargé du projet, en 1928, par la Société coopérative uccloise de construction d’habitation à bon marché : 120 logements (maisons unifamiliales sur deux niveaux, en briques et avec toits en pente) sur le plateau du Homborchveld. Où, comme le rappelle l’historien Marc Meganck dans l’émission Archi Urbain de Bx1, le 14 février 2018, « pour limiter le prix du transport des matériaux, Fernand Bodson va fabriquer les briques sur place ». Dès lors, « le terrain nécessaire pour la production de ces briques sera plus grand que la cité-jardin qui est projetée ». Il faudra six millions de briques, le chantier ne sera pas une partie de plaisir, mais il est bouclé en 1930.

Dans Les Nouvelles d’Uccle du 27 octobre 1929, on était émerveillé : « ’’Cité Grand Air’’ la bien nommée, établie sur le plateau le plus culminant de la commune, à la côte 103, sur un terrain de 30 ha, d’un seul tenant allant de la rue Engeland à l’avenue Homborchveld et à l’avenue des Hospices. Paysage charmant, abrité par la forêt de Soignes d’un côté, recevant les vents de l’ouest, semé de boqueteaux. (…) Uccle possèdera dans ce coin de son territoire une cité-jardin idéale, pourvue des canalisations d’eau, de gaz, d’électricité et d’égouts se déversant dans le grand collecteur de la chaussée de Saint-Job ; tout est marqué dans les plans : l’église, les écoles, la plaine de jeux pour les enfants, la plaine de sports pour les adolescents, les maisons de commerce nécessaires au ravitaillement de cette agglomération de quelques milliers d’habitants ; et, pour plus tard, le bureau de poste, le bureau de police, etc. Et tout cela, dans ce cadre charmant, où la lumière est abondante, où l’air circule, près des frondaisons de la forêt de Soignes et des bois de Verrewinckel. Est-il situation plus salubre que sur la hauteur du Homborchveld ? » (1)

Côté jardin

La cité s’étendra régulièrement après la Deuxième Guerre, notamment avec l’érection de bâtiments à appartements. Dans les années 2010, les maisons individuelles et les immeubles de logements collectifs sont rénovés. Mais le quartier reste « magnifique », comme tout le monde s’exclame toujours, tant celles et ceux qui y habitent, depuis longtemps ou non, que celles et ceux qui le découvrent. « Un village dans la ville », considère le journaliste de l’excellent reportage consacré en mai 2019 au Homborch par Radio Panik. Les anciens racontent, en mode un peu brusseleir, comment, « à l’époque, quand y avait de la neige ici, le docteur Lescaut nous remontait en voiture, avec tous les traîneaux, et on redescendait et puis y nous reprenait, c’était comme un télésiège ». Qu’ils allaient voir s’entraîner un ket du coin : Roger De Coster, qui allait devenir quintuple champion du monde de motocross (500 cc) dans les années 1970. Ou que la boulangère venait, à 5 heures du matin, réveiller Saint-Nicolas ivre mort, le nez dans la pelouse, en lui disant « va dans ton lit avant que les gosses se lèvent »… Les éditions, annuelles, hors pandémie, de Homborch en fête (le 22 mai, cette année ; lire page 12), place du Chat Botté et dans les rues alentour, démontrent la vitalité du quartier. Le Hompot, potager collectif au Square des Merises, ses succès horticoles et son système de dépollution écologique du sol. Le comptoir de graines Semance. L’installation sur la grande plaine de bacs à condiments en hauteur favorisant l’accès des personnes à mobilité réduite, d’un espace à plantes mellifères, d’un hôtel à insectes, d’arbres fruitiers, de modules de jeux et d’équipements sportifs (25 000 euros accordés par la commune dans le cadre de l’initiative « budget participatif »). L’école communale du Homborch, exemple modèle de mixité sociale. Et l’élégante avenue des Tilleuls, le siège de Sciensano (l’Institut scientifique de santé publique) et la Bogaerts International School, tous deux rue Engeland, qui incarnent la cohabitation sur un même espace de deux mondes très différents…

Les histoires de ce quartier, lss petites maisons blanches, ses étendues d’herbe, ss pentes et courbes, ses espacements, ses petites rues, sa population si hétéroclite (en termes de générations, d’origines, de racines, de cultes, etc), son sens de la fête, sa truculence voisinant avec son calme lui donnent une allure et une atmosphère uniques. À vrai dire : d’un charme fou.

Côté cité

Mais ce « calme » est aussi dû à une autre réalité, qui s’y est immiscée au fil du temps. De cité-jardin du Grand Air, le Homborch est devenu « quartier à habitations sociales ». Autrement dit, comme schématise l’un de ses habitants, arrivé dans les années 1950 : « Avant, comme on payait son loyer au prorata de ses revenus, il y avait autant de gens à la situation confortable que de gens pour qui c’était plus précaire, et dans une parfaite harmonie, l’apport des premiers permettant la présence des seconds. Mais depuis plusieurs années, il n’y a plus que des loyers bas qui entrent… » Conséquences : la boulangère est partie, le marché a fermé, les commerces ont tiré le volet les uns après les autres, les sans boulot ont essaimé. Les autorités communales disent que le quartier « ne doit pas devenir un ghetto », qu’il est une priorité pour qu’« on y retisse des liens » (entre habitants, avec le reste de la commune, avec le marché de l’emploi). La police y emploie depuis l’année dernière un « régisseur » dont la mission est « d’assurer un suivi particulier sur l’ensemble des problématiques du quartier et encore plus de coordination en termes de prévention, de travailler avec les jeunes, de renforcer les relations police-citoyens, d’aller à la rencontre de la population et des responsables des logements sociaux, etc ». Un PCS – Projet de cohésion sociale – y a vu le jour, comme dans une trentaine d’autres ensembles de logements sociaux de Bruxelles…

Ce côté « cité » donc. Avec cette face « jardin ». Qu’un gamin, ballon sous le bras, resitue à merveille. En peu de mots, tout simples, même s’ils sont ici plus que deux : « Ce quartier, c’est une famille. Y a des fous, mais c’est bien. »

Homborch en fête (c)DR

Projet de cité-jardin collaborative

La Société du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale projette la construction de 90 logements sociaux et moyens, dont 10 % de logements intergénérationnels, au Homborch. Les nouvelles habitations seraient implantées « le long d’un axe central ». Il y aurait « une artère verte, piétonne et cyclable, qui part du rond-point Charles Solau, traverse le grand verger public et s’achève vers le nord par un escalier panoramique » et, « de part et d’autre de cette artère, comme des grappes, de petits groupes de logements mitoyens »Les bureaux choisis pour le projet, 51N4E-COLOCO et BAS, le définissent comme celui d’une « cité-jardin collaborative », dont l’objectif est « de faire de ce quartier un paysage durable propice aux interactions sociales, un paysage collaboratif où l’individuel et le collectif trouvent chacun leurs qualités propres », de « donner une résonance ’’métropolitaine’’ sur le paysage de la cité-jardin et d’alimenter un imaginaire collectif bruxellois sur le renouveau de la ville de demain et des franges bruxelloises ». Sauf que des riverains, annonçant un « futur quartier à la dérive suite à un appauvrissement général programmé par la Région Bruxelles Capitale », estiment « ce plan démesuré incompatible si l’on veut maintenir une qualité de vie décente, un environnement verdoyant et encore plus ou moins paisible de ce quartier historique d’Uccle » puisqu’il entraînerait notamment l’ « asphyxie du quartier », une « surpopulation programmée »,  la « diminution considérable d’espaces verts », donc l’ « augmentation de la promiscuité et des nuisances sonores », et le « risque considérable d’augmentation de la criminalité dans le quartier déjà en proie à beaucoup de vandalisme, vols, agressions, incivilités en tous genre et donc augmentation du sentiment d’insécurité ». Une opposition jusqu’ici vaine.

Visite historique guidée

Dès 11 heures, le 22 mai, dans le cadre des Heritage Walks, les visites du patrimoine ucclois, promenade guidée dans le quartier du Homborch. Pour situer ses origines, observer son architecture, comprendre d’où viennent le nom de ses rues, places, parvis et avenues. Départ place du Chat Botté. Infos et réservations : 02/605 15 33 et