UN ARTISTE DANS LA VILLE

Tout est mouvement chez Kool Koor. La danse de son geste qui laisse s’écouler la couleur sur la toile, le souffle du cosmos qui tourne tout autour au loin, la transmission en retour de son art et de ses engagements, les vents et les vagues qui l’inspirent, la mouvance du calme dont il s’entoure, les vibrations du son qu’il crée. Le mouvement de sa vie, du Bronx à Uccle.

ITT Tower (c) Cilou de Bruyn

Il est l’auteur, avec deux autres graffeurs, de la fresque monumentale de l’IT Tower, avenueLouise. Une œuvre à la hauteur de ce précurseur du graffiti: Kool Koor,de son vrai nom Chuck Hargrove, artiste, graffeur, peintre, plasticien, musicien, 1m97, dreadlocks jusqu’à la taille, démarche chaloupée, gestes mesurés, voix grave ponctuée de cet accent new-yorkais qui avale les «r»,nous embarque dans son utopie cosmique.

Les mouvements décisifs

Seul garçon dans une maison du Bronx remplie de femmes et de filles artistes, sur fond de jazz, disco et saoule musique, enfant déjà fou de dessin il s’invente un Nouveau Monde. « C’était mon univers, mon petit coin secret où je pouvais faire tout ce que je voulais. » À 12 ans, lorsqu’il voit une fille en train de taguer un mur, il décide de devenir « writer » comme on nomme les graffeurs à l’époque. « Ecrire mon nom dans la rue, c’était juste pour faire partie de quelque chose de plus grand que moi, me perfectionner et trouver un style dans cette culture vibrante et fascinante qui m’attirait. » Il s’engouffre dans le boom de la culture hip-hop, non sans avoir hésité à s’orienter vers l’architecture, et commence son parcours artistique à New York au milieu des années 1970. Début des années 1980, il expose dans le Bronx et enchaîne dans le monde entier aux côtés de Keith Haring et de Jean-Michel Basquiat. En 1984, invité à présenter ses toiles lors de la première exposition de graffitis en Belgique, Kool Koor tombe amoureux de Bruxelles et s’y installe quelques années plus tard. 


Ses œuvres font partie des collections de musées tels que le Metropolitan Museum de New York, le Groningen Museum aux Pays-Bas et le B.A.M en Belgique. « Etre reconnu mondialement permet de croire en soi. Mais, je n’ai pas le sentiment d’être plus grand ou plus loin qu’un autre. J’essaie au maximum de transmettre ce que je sais. » Avec son association « Yes We Can », Kool Koor aide les jeunes artistes africains à devenir autonomes dans les disciplines du hip-hop et à se hisser dans une carrière internationale, parce que « c’est difficile de présenter ce qu’on crée en espérant qu’on va être aimé ! » Il utilise sa notoriété pour toucher un maximum de jeunes, les encourager à croire en euxetles pousser à déclencher les mouvements nécessaires pour réussir leurs rêves. « Si je suis ce que je suis maintenant, c’est parce que d’autres m’ont transmis ce qu’ils savaient. Si on ne partage pas ce qui nous a stimulé au fil des années à la génération suivante, on n’est pas à la bonne place. L’expérience est faite pour être partagée.»


À Uccle, on se souvient de son workshop donné en juin à la Guinguette du Wolvendael auprès à ceux désireux d’apprendre les techniques d’aérosol.

Être, c’est créer 

Le monde de Kool Koor nous embarque dans une cosmographie peuplée d’autres galaxies.
« Ce qui m’a d’abord inspiré artistiquement c’était le cosmos, les robots et les vaisseaux. Je nous imaginais représentés par des robots, avec le fond des structures humanoïdes. Ce qu’on voit vient du plus profond de nous. Peut-être que je voulais me rendre intelligent en faisant des choses compliquées. Je ne me rendais pas compte qu’en réalité, plus les choses sont simples et au plus elles sont compliquées. »

Le geste est lent, mesuré, respiré. Il observe, longtemps, sans idée de départ. « Je me vide la tête de tout ce qui peut empêcher cette spontanéité. Je réfléchis à une palette de couleurs que je veux employer, j’imagine un peu mes traits et puis je me lance et doucement, ça prend forme. C’est l’œuvre même qui me dit quand c’est fini. » Parfois, il n’écoute pas et continue. Alors il voit qu’il a été trop loin et d’autres gestes lui rappellent ce qui était en train d’arriver dans une autre direction. « C’est là où le calme est nécessaire. La capacité de prendre le temps de bien regarder, laisser mijoter tout ce qui est devant moi avant de jeter d’autres ingrédients dans la casserole. »

Une chorégraphie toute en formes rondes, courbes féminines aux couleurs subtiles rehaussées de lignes fines au marqueur, des hiéroglyphes contrastés avec douceur, une calligraphie élargie vers un infini en extension. Certains éléments sont répétitifs. « Mais ce n’est jamais la même chose. Parfois, on fait un mouvement, on regarde et on se dit que c’est beau, et ce n’est jamais parfait. C’est justement dans l’imperfection qu’on sent les choses. La beauté est dans l’imperfection et dans le chemin, sentir ce mouvement qui se reproduit et essayer de maîtriser ta main et parfois pas, justement pendant que tu travailles. La beauté c’est la vie autour de nous, le mouvement quand j’écris, quand je déjeune, quand je peins. »

Il est inévitable, pour Kool Koor, ce besoin de s’exprimer, comme un fluide passant de son imaginaire futuriste vers le support à travers le pinceau, le crayon, le marqueur ou tout ce qui lui passe par la main. Créer un Nouveau Monde, lumineux, organisé, contrasté, mouvementé, fluide. « Je ne dessine pas tous les jours, mais j’absorbe tout ce qui est, tout ce que je vois, tout ce que je sens, tout ce que je touche. Je cherche à provoquer des émotions et à m’engager avec un public pour créer un dialogue » 


Quiétude uccloise

« C’est l’atelier qui m’a choisi, comme une évidence », confie-t-il dans cet espace niché dans un quartier d’Uccle, gardé secret, aux murs, sols et plafond d’un blanc immaculé, inondé de la lumière naturelle des larges fenêtres. Pour ce calme qui lui permet de créer « parce que j’ai besoin autour de moi d’un espace neutre comme une toile vierge ». Il aime la commune pour sa diversité, et les nombreux espaces verts dans lesquels il puise ce rythme calme, nécessaire à sa création autant que le bouillonnement de la ville. Chaque déplacement est une méditation pendant laquelle il absorbe comme une éponge tout ce qu’il y a autour de lui.

Et dans son antre secret, incubateur de cités utopiques, il observe cette observation qu’il couche doucement sur sa toile. Pour notre plus grand bonheur.

Encadré

QUELQUES KOOL KOOR SUR LES MURS BRUXELLOIS

  • À Jette : une fresque chaussée de Wemmel sur la façade de l’école de musique, un projet sur la thématique des droits humains.
  • 11, Quai au Foin : une fresque commandée à l’occasion du parcours Street Art de la Ville de Bruxelles, en 2018.
  • IT Tower : une fresque monumentale collaborative réalisée avec les street artists bruxellois Alvari et Mino1. « On a passé beaucoup de temps à regarder le bâtiment de loin pour voir comment l’habiller de manière homogène en donnant une dimension supplémentaire, sans choquer, ni perturber l’environnement architectural et végétal. » L’œuvre a été imprimée sur un vinyle par deux imprimantes géantes 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pendant un mois. Puis elle a été posée par des alpinistes. 


5 DATES


1963 : naît à New York.

1975 : premier graffiti dans la cage d’escalier de son immeuble du Bronx.

1980 : première exposition dans le Bronx.

1982 : renonce à l’architecture et choisit d’être artiste peintre.

1989 : s’installe en Belgique.