Françoise Roberts-Jones, Philippe Roberts-Jones

Véritable mystère de l’histoire de l’art, Bruegel l’Ancien ne cesse de fasciner. À la frontière entre art médiéval et Renaissance, liant par ses œuvres le Nord et le Sud, le peintre à la renommée à l’épreuve du temps continue de fasciner et de faire couler l’encre des historiens de l’art.

L’art de peindre est affaire de regard. L’art de raconter, de mettre en perspective que déclinent Françoise Roberts-Jones et Philippe Roberts-Jones (décédé en 2016) dans leur monographie sur Bruegel est l’œuvre de deux historiens de l’art doublés du regard du poète. Dans cette nouvelle édition d’un ouvrage majeur paru en 1997, au fil d’une abondante iconographie dont on saluera la qualité des reproductions, on découvre non seulement une monographie de Pierre Bruegel l’Ancien mais l’affirmation d’une méthodologie, d’une pratique et d’une pensée de l’histoire de l’art.

La monographie de référence

Connu du grand public pour ses scènes hivernales et ses paysages rustiques, l’artiste flamand a cependant gracier de sa touche des sujets bien plus variés qui sont présentés dans cet ouvrage désireux de présenter l’oeuvre de Bruegel l’Ancien dans sa totalité. Scènes énigmatiques, représentation du temps qui passe à travers les saisons et leurs variations, peintures religieuses, les quelques 40 toiles qui nous restent aujourd’hui du peintre démontrent la diversité de son génie et l’adaptation de sa touche à tous types de sujets.

Amusant ! Retrouvez un index numéroté des emplacements des proverbes ci-après : https://www.laboiteverte.fr/peinture-flamande-de-1559-illustre-120-proverbes/

Dans la monographie Bruegel l’Ancien, le Géant des Flandres est bien là, partout, avec son lot de toiles et de dessins, à profusion, créés à une époque lointaine et pourtant proche, par le questionnement de l’humanisme, la curiosité du passé et l’ouverture au monde, par les luttes idéologiques, les absolutismes et le goût de l’argent.

En effet, si l’on connaît de Bruegel ses paysages d’hiver ou ses scènes rustiques, son pinceau est loin de se cantonner à ces sujets. De La Chute des anges rebelles à La Pie sur le gibet, en passant par les Saisons de l’année, le peintre aura déployé toutes les facettes de son génie. car sa production ne se limite pas à la quarantaine de tableaux qui demeurent. Elle compte également ses admirables dessins où s’expriment une imagination et une créativité débridées – que l’on devine à la série des Péchés capitaux – dont le présent ouvrage a su ménager la place qui leur revient. Les gravures sont également étudiées (au XVIe siècle, la gravure était le seul moyen, pour les artistes, de diffuser leurs œuvres auprès du plus grand nombre) et celles de Bruegel traduisent parfaitement les goûts et les tendances d’une époque.

Malgré sa renommée, Bruegel est très peu cité dans les sources écrites, et sa vie reste en grande partie dans l’ombre, Bruegel attire et suscite l’admiration chez les jeunes artistes d’aujourd’hui. Sans doute qu’en tant que peintre, Bruegel a vécu à un tournant de l’histoire, à une époque au cours de laquelle le monde tel qu’on le connaît menace de disparaître : les grands explorateurs placent de nouveaux continents et de nouveaux peuples sur la carte et le monde s’ouvre à un rythme accéléré.

Les tableaux de Bruegel sont donc de fascinants et stupéfiants cabinets de curiosités de son époque. La tension sociale y est palpable. Toutes les nouveautés qui font leur apparition, qu’il s’agisse d’inventions ou d’objets ramenés des mondes nouvellement découverts, y trouvent leur place.

A l’occasion, les musées sont ouverts (!), arrêtez-vous par exemple devant « La Chute des anges rebelles » au Musée des Beaux-Arts de Bruxelles. Sur cette peinture, l’archange se bat contre des personnages imaginaires et étranges tels qu’un poisson exotique, un être hybride doté d’une armure de forme animale, une sorte d’Indien et des créatures coupées en deux… Une véritable iconographie de jeu vidéo !

Pieter Bruegel l’Ancien-« Les gros poissons mangent les petits », 1556 (d’après Roberts-Jones et Roberts-Jones, 2012). 

L’œuvre de Bruegel n’en prend que plus d’importance et à travers celle-ci une personnalité profondément humaniste, un être observateur de ses contemporains, mais aussi de la nature ou des événements du temps.

Quand ils évoquent la complexité expressive de Bruegel, la diversité de ses registres — sensible et spirituel —, quand ils abordent les effets esthétiques produits sur le spectateur, Françoise et Philippe Roberts-Jones conjuguent le regard de l’historien de l’art et celui de l’écrivain, du poète, attentif à maintenir l’univers bruegelien dans l’ouverture, à ne pas dicter au lecteur une perspective de lecture au détriment des autres, à le laisser choisir entre la voie de l’interprétation picturale et celle d’un regard étranger à toute explication.

Bruegel est un ouvrage multiple : riche par la vision, le sentiment et l’intelligence, il présente une moisson d’idées, une moisson d’images.

Les auteurs

Descendant d’une très ancienne famille belge d’origine britannique établie à Bruxelles, Philippe Roberts-Jones est le fils de Robert Roberts-Jones, avocat, résistant et patriote, membre du Réseau Comète, fusillé par les nazis au Tir national en octobre 1943. Depuis 1945, une rue d’Uccle porte son nom.

À peine âgé d’une vingtaine d’années, Philippe s’engage dans l’Armée Secrète, comme volontaire, et devient officier de liaison auprès de l’armée britannique. Lors de sa démobilisation en 1946, il s’inscrit à l’Université Libre de Bruxelles pour étudier le droit ainsi que l’histoire de l’art et de l’archéologie.

L’historien de l’art, poète et essayiste, Philippe Roberts-Jones devient secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Belgique en 1985. Il fut pendant vingt-cinq ans conservateur en chef des Musées royaux des Beaux – Arts de Belgique, menant à bien la rénovation et la construction de leurs principaux bâtiments. Auteur d’ouvrages sur la peinture, la caricature, ainsi que de monographies d’artistes et de nombreux recueils, il a obtenu le Grand Prix du rayonnement français et le Grand Prix de poésie de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre. Professeur émérite de l’Université de Bruxelles où il a créé la chaire d’art contemporain, il est membre de l’Institut de France et de diverses académies.

Auteur prolifique, ses œuvres ont été de son vivant rendues libres.

Françoise Roberts-Jones est conservateur de la peinture ancienne aux Musées royaux des Beaux – Arts de Belgique et s’est spécialisée dans l’art flamand du XVIe siècle et la muséologie.

En page de couverture, un détail de  » Le dénombrement de Bethléem ».Bruegel l’Ancien

Philippe et Françoise ROBERTS-JONESBruegel, Flammarion, 2020, 352 p. 35€, ISBN : 978-2081519152