Une monographie raconte deux parcours du père de Natacha. Qui s’entrecroisent. Celui qui l’a mené à la célébrité. Et celui de ses aventures, de 1963 à 1972, à Uccle. Où tout a vraiment commencé.

Charles-Louis Detournay, rédacteur en chef du webzine français ActuaBD (www.actuabd.com), est basé à Uccle, rue de Stalle. Il publie ce 8 septembre une monographie consacrée à François Walthéry, le père de Natacha, du P’tit Bout d’Chique, de Jacky et Célestin et de Rubine, notamment.

François Walthéry, jeune – Crédit : Derib

Outre le témoignage d’une kyrielle d’auteurs, François Walthéry s’y livre, racontant ses débuts, très jeune (17 ans !), l’apprentissage auprès de Peyo, Tillieux, Franquin, Will, Morris, Roba, Delporte, Jidehem, Mittéï, Degieter, Hubinon, les frères Dupuis…), les collègues devenus amis (Wasterlain, Derib, Gos, Etienne Borgers, Leloup…), l’encrage ou les dessins pour Benoît Brisefer ou Les Schtroumpfs, les nuits courtes, les aller-retour Cheratte-Bruxelles-Cheratte, le service militaire, la passion pour la musique, la maladie de son père, le triomphe professionnel, l’évolution du métier, les potes disparus… Un ouvrage terriblement attachant. Et où Uccle joue un rôle-clé : Peyo, créateur de Johan et Pirlouit et des Schtroumpfs, avait besoin de quelqu’un, pour les couleurs, les décors, le lettrage. Il habitait avenue Coghen, face au collège Saint-Pierre. Ce « quelqu’un » fut Walthéry. Qui fut contraint de vivre chez Peyo. Puis dans les environs. Où habitaient tant d’autres dessinateurs ou scénaristes. Dès lors, le petit Liégeois sillonna la commune, de jour comme de nuit, seul ou en troupe, de 1963 à 1972, avant de devoir rentrer sur ses terres familiales. Voici donc, dressée depuis le contenu du livre, « La balade Walthéry ». Ou les lieux d’Uccle où a démarré son parcours d’auteur parmi les plus célèbres du 9e Art.

Walthéry le facétieux, Charles-Louis Detournay, éd. Kennes, 298 p.

1. AVENUE COGHEN : LE DÉBUT

En septembre 1963, (…) nous sommes arrivés dans son petit appartement qu’il louait au 272 de l’avenue Coghen. (…) À l’entresol, entre deux étages, Peyo me montra comment il avait sommairement aménagé une petite chambre de bonne en atelier. Il y avait une grande table, deux chaises le dos collé au mur, et juste la place pour que nous puissions, lui et moi, nous asseoir côte à côte, penchés sur nos dessins. J’apprendrai par la suite que Peyo avait occupé des lieux encore beaucoup plus inconfortables, entre autres dans son précédent petit appartement, rue des Carmélites, à cinq cents mètres de là.

Crédit : Charles-Louis Detournay

2. RUE JOSEPH BENS : LE KOT

Peyo m’a accompagné (…) au Parvis Saint-Pierre, auprès d’un charbonnier qui connaissait tous les logements du quartier à louer, afin de renseigner les ouvriers et autres saisonniers. (…) Nous sommes allés visiter une chambrette (ce qu’on appelle un « kot » à Bruxelles), située au numéro 50 de la rue Joseph Bens, chez madame Philomène Jans, que nous allions appeler par la suite « Tante Phylo ». (…) La chambre, située dans les combles, était petite, mais très propre. (…) Seul souci, j’étais réveillé en fanfare le matin par l’atelier de carrosserie Indemans localisé juste à côté : boum-kling-klong ! Et au-dessus, il y avait un club de karaté qui s’entraînait le soir. J’étais bien entouré. (…) En début de soirée, [nous allions] au « Spijt », une brasserie en bas de notre rue Joseph Bens, dont le nom complet était Au Vieux Spijtigen Duivel et dont la fondation remonterait au début du XVIe siècle. Nous n’étions pas encore de grands sorteurs à l’époque, mais cela allait changer par la suite – surtout en ce qui me concerne !

Crédit : ©Walthéry

3. AVENUE BOETENDAEL : L’ATELIER

Peyo m’a indiqué que Claude (NDLR : Derib) allait nous rejoindre, mais seulement au printemps 1964. En effet, il était alors impossible de mettre une personne de plus dans cette petite chambre de bonne. Mais Peyo était en train de faire construire sa propre maison, à quelques centaines de mètres plus loin, avenue de Boetendael. « Nous aurons la place pour un véritable atelier », me confia-t-il.

Crédit : ©Walthéry

4. PARC BRUGMANN : L’ENTRAÎNEMENT

Nous rendant compte que nous avions parfois du mal à dessiner les décors de manière réaliste, en se plaçant au niveau d’un schtroumpf, Peyo nous a un jour envoyés dans le parc Brugmann, qui se situait à cinq minutes de chez lui. « Allez mettre vos yeux à la hauteur de ceux de nos personnages, pour mieux comprendre ce qu’ils voient réellement de si bas, com- ment apparaissent les brins d’herbe pour nos petits lutins bleus. » Les Ucclois ont dû être surpris de voir deux jeunes hommes en train de faire des photos, couchés dans l’herbe. Et ils auraient été encore plus surpris de savoir que nous comp- tions les utiliser pour dessiner des décors pour une bande dessinée imaginaire.

Crédit : DR

5. PARVIS SAINT-PIERRE : LA DÉSAOULERIE

Pour dessiner au mieux les motos de la police qui intervenaient dans ce récit
de Jacky et Célestin, je suis allé visiter
le commissariat du Parvis Saint-Pierre en demandant à photographier leurs Harley-Davidson. (…) J’allais mieux ex- plorer ce commissariat quelques années plus tard : le pâtissier Christian Nihoul, que j’avais rencontré pendant le service militaire, Marc Wasterlain et moi-même y avons passé une courte nuit en cellule de dégrisement, après être entrés dans le commissariat avec la voiture de fonction de la pâtisserie. C’était le point final d’une petite course que nous avions entamée à partir de la Bourse de Bruxelles, en empruntant le tunnel pour les trams.

Crédit : DR

6. AVENUE WINSTON CHURCHILL : LA BIÈRE

Franquin sortait parfois manger avec nous le midi, puis partait marcher un petit peu au Bois de la Cambre non
loin de là. Il prenait souvent un scotch au tonneau (com- prenez « une bière ») à la brasserie Beau Séjour (avenue Winston Churchill) avant d’arpenter avec nous les allées du Bois. Après leurs infarctus respectifs, Peyo et Franquin ont d’ailleurs continué à aller marcher ensemble au Bois, sur le conseil de leurs médecins.

Crédit : DR

7. CHAUSSÉE D’ALSEMBERG : LE STEAK

À chaque fin d’album, Peyo nous invitait au restaurant pour fêter cela. Nous allions manger un bon steak au Floréal,
un restaurant situé sur la chaussée d’Alsemberg. (…) Ceci dit, ces occasions de faire bombance restaient rares, car les albums de Benoît Brisefer se composaient de soixante planches, et il fallait un an et demi de travail pour réaliser un album.
Crédit : DR

8. RUE DU DOYENNÉ : LE REPAIRE Marc Wasterlain et moi avions le même âge, à six mois près. (…) Nous avions les mêmes goûts en matière de musique et de bière, surtout lorsque nous allions manger notre spaghet- ti le midi au café du centre d’Uccle, chez Bouillon. Et la nuit, nous allions au Petit Pont, au-dessus de La Cambuse, un bouge d’étudiants alors considéré comme un bordel par les Ucclois bien-pensants, alors que c’est maintenant devenu un restaurant des plus huppés. Quoi qu’il en soit, La Cam- buse nous convenait bien, car nous terminions de travailler vers 2 heures du matin, et que c’était un des rares lieux encore ouverts où l’on pouvait boire un verre et écouter un des vieux disques de rock que contenait le juke-box.

Crédit : Luc Schrobiltgen

9. PLACE VANDERKINDERE : LA SERRURE

Marc a tout d’abord habité place Vanderkindere, où sa pro- pre table à dessin était constituée d’une porte sur des blocs de construction. Il fallait juste faire attention, en dessinant, à ne pas tomber dans le trou dévolu à la serrure !

Crédit : DR

10. RUE DES CARMÉLITES : LA FÊTE

Un peu plus tard, [Wasterlain] a trouvé un appartement rue des Carmélites (…). Dans la même rue habitaient également le rédacteur en chef du Journal Spirou, Thierry Martens, ainsi que Jean-Marie Brouyère, un scénariste du journal. Il y avait donc deux ou trois appartements de la rue où tout le monde se retrouvait régulièrement pour faire la fête.

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11. VOSSEGAT : L’APPARTEMENT

En 1971, ma logeuse, Tante Phylo, m’avait annoncé qu’elle allait fermer sa petite pension de famille où j’avais une chambrette depuis huit ans. Il me fallait trouver un autre logement… « François, ne serait-il pas temps que tu t’achètes un petit appartement, plutôt que de dormir dans le lit du grenier ? », m’avait demandé Peyo. (…) « Des appartements viennent d’être construits derrière la maison communale d’Uccle, au Vossegat. Nous pourrions aller y jeter un oeil tous les deux ? C’est un de mes amis qui s’occupe de ces immeubles. » Nous sommes allés visiter les lieux, et j’ai jeté mon dévolu sur l’appartement situé le plus haut. L’ascenseur n’allait que jusqu’au neuvième étage, il fallait encore grimper une volée d’escaliers pour parvenir au dixième. Mais de là-haut, on bénéficiait d’une superbe vue sur Bruxelles.

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