Crédit : Cilou de Bruyn.
Crédit : Cilou de Bruyn.
Que les deux cracks nous croquent
Ce sont deux des plus grands dessinateurs de presse en Belgique francophone. Et ce sont deux Ucclois. Pourquoi et comment sont-ils arrivés à Uccle ? Qu’est-ce qu’ils lui trouvent ? Qu’est-ce qui les y hérissent ? Dubus et Vadot gardent leur crayon en poche, mais pas leur langue.
Cilou de Bruyn et Thierry Fiorilli
Kroll (Le Soir et Moustique), Dubus (La DH, La Libre et Soir-Mag) et Vadot (Le Vif et L’Echo) : à eux trois, ils dessinent pour sept des neuf titres de la presse d’informations générales francophone belge. Or, Frédéric Dubus et Nicolas Vadot, dont les albums respectifs de fin d’année, florilège de leurs dessins publiés en 2021, viennent de paraître, sont Ucclois. L’un pur jus. L’autre d’adoption. On ne pouvait que les réunir quelque part à Uccle. Au Caffè Al Dente, rue du Doyenné, parce que Dubus habite tout près et que Vadot aime bien. Ils y évoquent leur commune. Chacun dans son style : Dubus fait le bougon, Vadot cingle. Bref, tout le monde en prend pour son grade.
Comment ils sont arrivés à Uccle
Dubus : « J’ai pas choisi : je suis Ucclois depuis plusieurs générations. Mon grand-père maternel, Wilhelm Wouters, a même été échevin. Quand je suis né, à Cavell, en 1963, mes parents habitaient là où il y a aujourd’hui le restaurant chinois Wen Tai, chaussée d’Alsemberg, en face de chez Picard. On y a vécu dix ans, puis près du Melkriek, puis trois adresses avenue Brugmann, puis rue De Broyer où j’ai acheté avec ma femme, et enfin rue Alphonse Asselbergs. Je suis à 50 mètres de là où je suis né. »
Vadot : « Moi je suis arrivé en 1988, de Saint-Germain-en-Laye, en région parisienne, avec mes parents, pour le boulot de mon père. J’avais 17 ans. J’ai fait ma terminale au Lycée français. On a loué avenue Coghen, puis on a déménagé chaussée de Saint-Job, puis je suis allé avec des copains à Saint-Josse, puis tout seul à Saint-Gilles. Aujourd’hui, de nouveau chaussée de Saint-Job, à 2 km d’où on habitait. Mais entre les deux, j’en ai fait 17 000 pour vivre en Australie avec Catherine, ma femme, qui est Australienne. On y est resté six ans. Quand on est revenu, en 2010, avec deux enfants, on a loué avenue Houzeau, où on a été inondé deux fois, puis avenue Groelstveld. Puis on a acheté où on est maintenant. »
Pourquoi ils sont restés (ou revenus)
Vadot : « J’avais des journées australiennes et des nuits européennes, puisque je travaillais toujours pour Le Vif et L’Echo. Après un moment, ça devient lourd. En plus, l’Australie, c’est très bien, mais c’est très loin : j’avais l’impression d’avoir le cerveau qui ramollissait. Il faut avoir quitté l’Europe pour se rendre compte qu’elle est fantastique. Le retour s’est imposé. Mais ce devait être une ville internationale, donc il n’y avait pas 56 endroits : Paris, Londres ou Bruxelles. Londres, laisse tomber, pas les moyens. Paris, aucune envie de vivre dans une boîte à chaussures. Restait Bruxelles. Des copains m’y ont trouvé la maison avenue Houzeau. Puis on est resté dans le quartier. Parce qu’il est verdoyant (on n’allait pas quitter le grand air australien pour la rue des Bouchers hein), que les enfants peuvent aller au Lycée français, où Catherine est prof aussi, qu’il y a beaucoup d’expats, des anglophones tout près. »
Dubus : « Je suis paresseux : je serais né à Auderghem, je serais resté à Auderghem. J’ai eu l’opportunité de trouver une maison, ma femme était d’accord, et voilà. Ce n’est pas un choix. Mais je le regrette pas : je ne me sens bien qu’ici. J’ai tout à portée de main. Écoles, commerces, restaurants, parcs, forêt. C’est pas très bien desservi en métro mais c’est géographiquement pas mal situé. Uccle Centre, qu’est-ce qu’on peut lui reprocher ? »
Comment ils définissent Uccle
Vadot : « Une commune multiforme : Uccle Centre, où Fred habite ; Dieweg-Calevoet, où moi j’habite ; Prince d’Orange, qui est Hollywood, avec Justine Henin et Adamo ; Stalle, plus populaire : derrière la gare de Calevoet, le quartier qui se développe ; Vanderkindere, où j’ai fait mes études à l’Erg, j’adorais le quartier, je le trouve moins agréable même s’ils l’ont un peu amélioré. Tu as cinq ou six Uccle différents. Mais le point névralgique, c’est ici. »
Dubus : « Chez moi ! »
Vadot : « Uccle, c’est des populations très différentes. Expats, Bruxellois venus d’autres communes, Ucclois pur jus, comme Fred. Ou comme mon copain qui tient Le Pigeon Noir, Henri De Mol : il peut t’expliquer pourquoi on a des inondations chaussée de Saint-Job : ‘’Le Geleytsbeek, on sait depuis 200 ans qu’il faut jamais construire de ce côté, parce que ça prend l’eau à tous les coups. Mais ils ont construit. Ils ont mis 25 000 bassins d’orage mais ça suffit pas. Comme l’avenue De Fré, qui est en fait une rivière.’’»
Leurs souvenirs d’Uccle
Dubus : « Mon grand-père parlait flamand, ma mère parlait flamand. Tout était flamand ici. Un patois plutôt. Ma mère et sa sœur sont devenues francophones, l’autre sœur et le frère sont restés Flamands : l’une est allée à Anvers, l’autre à Rhode-Saint-Genèse. Les réunions de famille, c’étaient les cousins francophones et les cousins flamands. C’est typique de la francophonisation de Bruxelles : ceux qui y sont restés parlent français, ceux qui ont continué à parler flamand l’ont quitté. »
Vadot : « En 2010, quand on est revenu, l’agent de quartier qui est passé était néerlandophone. Il nous a dit ‘’Encore des Français ! Je n’ai plus l’impression d’être chez moi.’’ »
Dubus : « J’allais chercher des cigarettes Armada Galion pour mon père, des Prince de Monaco pour ma mère, au petit magasin, chaussée d’Alsemberg, avec une pub pour les cigarettes Tigra, une femme habillée en tigre. C’est devenu une trattoria italienne. La vieille qui le tenait, sourde, me donnait une petite gomme. Je pouvais sortir pour ça. Ou pour un truc au Sarma, parce qu’il fallait pas traverser. La fille de la caissière était au jardin d’enfants avec moi. Tout le monde se connaissait. Maintenant, dans notre rue, aussi : on a un groupe WhatsApp, un collectif très actif, on a privatisé la rue pour la Journée sans voiture. »
Vadot : « On avait ça avenue Groelstveld. J’ai un passe-droit, pour encore participer aux fêtes qui ont lieu dans la rue. Sinon, mon premier contact avec Bruxelles, en 1988, c’est la gare du Midi. Et la gare du Midi en 1988, c’était Bucarest sous Ceausescu. Et puis, la première semaine au Lycée français, les gens commençaient une phrase en anglais, la continuaient en italien et la finissaient en espagnol. Ça m’a ouvert l’esprit. »
Dubus : « Je me souviens de Cabu aussi, le volailler qui était rue Xavier De Bue. Chaque année, à la période de la chasse, il y avait un sanglier, mort, sur le trottoir ! »
Ce qu’ils aiment à Uccle
Dubus : « Je ne me pose plus cette question. C’est une commune sans histoire, gérée en bon père de famille. Pas de gros chipotage. Pas de quoi se visser le cul au plafond non plus, pas grand-chose ne bouge, un nouveau coiffeur remplace un ancien, une nouvelle pharmacie ouvre là où il y en avait une, mais ça roule. C’est tout ce qu’on demande à une commune. Et j’aime pas trop le changement, donc ça me convient. Mes enfants ont été à l’école à pied, comme moi : Saint-Vincent de Paul puis Saint-Pierre. Maintenant qu’ils sont grands – 23 ans (diplômé début octobre sur la Grand-Place, de la Solvay Business School, à l’ULB, il tient plus de sa mère que de moi), 21 et 17 –, ils prennent un tram et sont tout de suite dans le centre-ville. Ce serait pareil à Saint-Gilles, sauf qu’ici c’est plus aéré. On n’est jamais loin d’un peu de verdure. On peut s’échapper de la ville tout en étant en ville. Et c’est pas Woluwe-Saint-Pierre non plus, avec les quatre façades Boule et Bill. »
Vadot : « Mes enfants sont plus jeunes : 12 et 14 ans. Ils sont d’abord allés aux Églantiers, où je les emmenais. Depuis deux ans, ils vont au Lycée tout seuls. Statistiquement, peu de chances qu’il leur arrive quelque chose. Là, ils vont eux-mêmes dans le centre-ville, en prenant le 92. Tout est proche. J’aime bien aussi l’Observatoire, où je vais faire mon footing. L’avenue Groelstveld, où j’ai l’impression d’être à Sydney. Il y a une âme, là. Le parvis Saint-Pierre, un vrai beau quartier. L’avenue Molière, toujours aussi belle. La place Churchill, avec la statue de Winston au milieu. Les grandes allées du Prince d’Orange, avec les immenses maisons impayables. Et les espaces verts : le parc de la Sauvagère, derrière le Lycée français, très beau et bien entretenu, la Forêt de Soignes, le Parc de Wolvendael… »
Crédit : Inventaire du patrimoine architectural en Région de Bruxelles-Capitale.
Dubus : « C’est quand même bien sinistre, la Sauvagère. Humide. Bon, y a les lamas. »
Vadot : « A Canberra, on avait les kangourous !
Dubus : « Je préfère le Kauwberg, plus sauvage, avec les sablières. On a l’impression d’être au Colorado. »
Leurs bonnes adresses
Vadot : « Les Garçons Bouchers, au Dieweg, le meilleur boucher de Bruxelles. Quand on y va, on ne va plus jamais ailleurs. Le maraîcher d’à côté, super bon et très sympa. Barat, le boulanger, place Saint-Job, le meilleur aussi. Gelin, le marchand de vin, rue Egide Van Ophem, où t’es client aussi, Fred, ils m’ont dit. Le point Poste place Saint-Job : tous mes envois partent de chez eux et ils sont super, un vrai sens du service. Hassan, le marchand de couscous à Calevoet : valeur sûre et pas chère. Le Pigeon Noir, rue Geleytsbeek, un étoilé qui ne se la pète pas. J’adore y aller refaire le monde avec des copains. La Branche d’Olivier, rue Engeland : super cuisine française. Ici, Al Dente, le bistrot, pas le resto : bon, simple et pas cher. Bleus d’encre, ma librairie, juste là. Bouchéry, chaussée d’Alsemberg : faut un assez gros budget, mais c’est super original. Le Chalet de la Forêt, Drève de Lorraine, un peu moins impayable à midi que le soir. Et Pasta Commedia, avenue Jean et Pierre Carsoel : bonnes pizzas pas chères.
Dubus : « Moi j’aime bien Epicuro, rue Victor Allard. »
Vadot : « C’est bien ça ? Je suis passé devant. »
Dubus : « Tout à fait honnête. Et ça nous a sauvés pendant le confinement. C’est l’ancien Moby Dick. Sinon, Le Parvis, rue De Bue. Mais c’est plus un truc pour bobonnes. Pas très festif. Tontons, place Homère Goossens, c’est bien aussi. »
Vadot : « Et le volailler Fonteyne, chaussée d’Alsemberg ! Y a qu’avec ses œufs que Catherine arrive à faire la pavlova. Avec Mammie Fonteyne, 88 ans et toujours derrière sa caisse. Ils ont un Mister Cash depuis six mois. »
Dubus : « Mais elle compte toujours les billets. »
Vadot : « Ils sont là depuis toujours. »
Dubus : « Non, non, depuis, attends, 1992 ou 1993. »
Vadot : « Ok, mais quand tu dois payer 26 euros 92, elle va compter les 2 cents, Mammie. C’est des vrais épiciers, mais vachement bien. »
Les pavés de la rue Xavier De Bue : « Mauvaise idée », selon Dubus.
Crédit : DR.L’avenue Groelstveld : « Elle a une âme », selon Vadot.
Ce qu’ils n’aiment pas à Uccle
Dubus : « Plutôt ce qui me fait râler. L’égout devant chez moi, bouché depuis des semaines et ça bouge pas. Les travaux chaussée d’Alsemberg : c’est la fin du monde, depuis des années. Les pavés de la rue Xavier de Bue, un truc de l’ancienne majorité : c’est très joli mais quel potin quand les voitures passent ! Une fausse bonne idée. Mais c’est des détails de vieux schnock. Ah oui, l’atelier de vélo, La Doyenne, rue du Doyenné ! Ils ont refusé un gars de ma rue. ’’C’est réservé aux femmes aujourd’hui.’’ Ça, ça m’énerve plus que les pavés de la rue De Bue. Et c’est juste en face de mon école quand j’étais petit en plus. »
Vadot : « Moi, c’est la gare de Calevoet. C’est une honte. Moche, délabrée, on se croirait en URSS. On ne peut accéder aux quais opposés que par deux tunnels immondes qui sentent la pisse. La maison de repos, en face, où mon père était, ma femme refusait d’aller seule à cause des tunnels. Il suffirait de mettre une passerelle au-dessus des voies. Je regrette aussi qu’il y ait très peu de distributeurs de cash dans le quartier. »
Dubus : « Viens vivre à Uccle Centre ! »
Vadot : « Avec la chaussée d’Alsemberg, moche à crever ! Ils viennent de l’améliorer côté maison communale mais c’est toujours aussi immonde depuis le Globe jusqu’au crématorium. Sinon, on est mal desservi en transports en commun, surtout en terme de fréquence des trains. Dommage : Calevoet-Midi, c’est 8 minutes. »
Dubus : « Moi, je prends à Stalle : 12 minutes jusqu’au centre. Mais un par heure. »
Ce qui manque à Uccle
Vadot : « Pas les coiffeurs ! Je crois que les gens ont les cheveux qui poussent plus vite ici. »
Dubus : « Et le nombre de pharmacies ! Et les marchands de lunettes ! Alors qu’il n’y a pas un vrai café de quartier. Un café jeune. A part à Saint-Job. »
Vadot : « Dans mon coin, il y avait le café Charlotte, mais il a pas résisté aux confinements. C’était un resto de quartier. Ça manque aussi. Et un skatepark. Paraît que c’est en projet. »
Dubus : « Sur la place communale ? Mais y a eu plein d’idées comme ça. Un bac à sable, un toboggan… »
Vadot : « Mais comme bientôt la maison communale va déménager… »
Dubus : « Dans cette espèce de Versailles-là ! Je sais pas ce qu’ils vont foutre dedans. »
Vadot : « Sinon, un cinéma, comme Le Stockel à Stockel, ce serait bien. »
Dubus : « Mais un cinéma à côté de chez toi, c’est moins excitant. Le cinéma, tu y ’’vas’’. Enfin, moi, depuis qu’on y mange du pop-corn, j’y vais plus. »
Uccle dans leurs dessins
Vadot : « Dans 80 jours, une BD publiée en 2006, il y a l’avenue Churchill, l’avenue Brugmann… Dans Madame Ronchard, en 2019, il y a le café Charlotte. Je prends des photos et je redessine. Pour le dessin politique, c’est plus difficile d’utiliser Uccle évidemment. »
Dubus : « C’est mon jardin secret ! Sérieusement, quand on m’a demandé de dessiner pour la Bière de Quartier des commerçants d’Uccle Centre, cette année, qu’est-ce que je pouvais bien faire qui symbolise Uccle, vu qu’il y a tellement d’Uccle ? J’ai fait un U et un C avec deux personnes. »
Leur nouvel album
Dubus : Débordés, éditions Kennes, 96 pages de dessins parus en 2021 dans La DH, La Libre et Soir-Mag.
Vadot : Nouveau monde, éditions Nicolasvadot.com, 80 pages de dessins parus en 2021 dans Le Vif et L’Echo. Achat en ligne : nicolasvadot.com/shop/
Pour les deux pages d’ouverture
Nicolas Vadot (à gauche) et Frédéric Dubus, au Parvis Saint-Pierre, un coin d’Uccle qu’ils fréquentent régulièrement.
Crédit : Cilou de Bruyn.
Pour l’encadré 1 (3 images)
Chez Charlotte, du temps où c’était ouvert et dans 80 jours, la BD de Vadot.
Crédits : DR.
Le dessin de Dubus sur les sacs en toile disponibles chez les commerçants d’Uccle Centre. Crédit : DR.
Pour l’encadré 2
Pas de légendes, juste les 2 cover d’album
Pour le reste de l’article (en fonction du nombre de photos choisies)
Le parc de la Sauvagère : Vadot adore.
Crédit : Inventaire du patrimoine architectural en Région de Bruxelles-Capitale.
Le Kauwberg : le préféré de Dubus.
Crédit : DR.
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La chaussée d’Alsemberg : « C’est chez moi ! », crâne Dubus. « C’est moche à crever ! », réplique Vadot.
Crédit : UCUC.
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Les pavés de la rue Xavier De Bue : « Mauvaise idée », selon Dubus.
Crédit : DR.
L’avenue Groelstveld : « Elle a une âme », selon Vadot.