En lien, immédiatement elle est en lien avec vous. Elle plante ses yeux droit dans les vôtres. Et, vous faites alors partie de son monde. Parce que chez elle – elle vous l’a dit – il y a un besoin inaliénable d’être en lien avec ce qui l’entoure, « car là je me rapproche de ce que je me sens être fondamentalement: un corps pas étranger faisant partie du monde ».
“On ne discute que la manière de créer du lien, de la qualification du lien, de la générosité potentielle du lien.”
Sabine Leribaux est architecte, cofondatrice du bureau architectesassoc+ et concrètement engagée pour soutenir l’égalité homme-femme. Mais « être femme ne me définit pas plus que la couleur de ma peau ». Pourtant, on le sait, on le sent, il y a chez cette femme le besoin obsessionnel d’être utile. « Que l’on soit architecte ou avocate, planteuse de patate ou psychologue, c’est une qualité essentielle de vouloir être utile, tendre vers le généreux, le pertinent. C’est une responsabilité qui rend vivant(e) parce qu’on est obligé(e) de réquisitionner toute l’énergie en nous pour faire du mieux qu’on peut. Et puis, quand on désespère, ça fait sortir du lit. »
Peut-être parce qu’elle fait partie d’un tout, dit-elle, Sabine Leribaux accueille. Elle écoute. « Dans mon métier c’est loin d’être une parole théorique : quand les responsables Patrimoine, les autorités ou toute autre personne ne pensent pas comme moi, j’écoute. Même si c’est parfois douloureux car l’écoute demande un don de soi, c’est-à-dire par définition un arrachage d’un morceau de soi. » Du coup, on comprend mieux que pour elle l’architecture est une histoire d’histoires humaines. « Sur un grand ensemble en cours d’étude au bureau avec les autorités, depuis deux ans on ne discute que la manière de créer du lien, de la qualification du lien, de la générosité potentielle du lien. » Personne n’a encore posé une seule question sur l’esthétique des façades. « C’est surfacique eu égard du propos principal, à savoir être en lien. C’est cela la ville de demain. »
Demain, elle en est convaincue – « nous le sommes toutes et tous, je crois » – aucun groupe, quel qu’il soit, ne dominera un autre dans cette ville idéale. Elle est, par exemple, persuadée que la prise en charge des enjeux environnementaux
ne peut être compromise par l’absence de la moitié des troupes, les femmes notamment, « mais passe au contraire
par l’ancrage de tout le groupe autour d’une idée simple : “One (world), indivisible, with liberty and justice for all”» . Un monde indivisible, avec liberté et justice pour tous et toutes. Alors, Sabine Leribaux mise sur l’empathie, « c’est fédérateur, mais il faut ensuite agir, aller plus loin, être solidaire ».
Avec toutes nos différences, notre rapport particulier au tout qui nous entoure. « Savoir que l’autre en face de nous vit son truc et pas notre truc et que son truc rien qu’à lui ou à elle ça se respecte même si c’est pas notre truc, ça invite à l’écoute, à la découverte, à l’émerveillement. »
Une écoute active
Voilà donc pourquoi on se sent tout de suite proche de cette femme. Comme si on la connaissait depuis toujours, alors qu’elle vivait au Texas et nous en Afrique, pieds nus toutes deux. Aussi parce qu’on la sent ancrée, fière, juste, présente. Et globale. « Refuser de voir le futur prendre forme devant nous, le changement climatique auto-infligé en particulier, me semble tout aussi peu productif qu’ignorer le passé. » Par peur ? « La peur, on peut tous et toutes la comprendre. Le captage qu’il s’agit d’un sentiment partagé nous permet de le toucher et donc de l’apaiser, pour mieux mobiliser les énergies de celles et ceux chez qui on l’a calmé et qui oseront maintenant s’engager avec nous. »
Sabine Leribaux estime que chacun(e) dans son métier devrait témoigner que les actes à poser aujourd’hui pour assurer au monde un demain meilleur ne sont pas des bazars farfelus impossibles, mais des choses faisables, accessibles grâce des techniques que nous maîtrisons ou que nous maîtriserons grâce à la mise en commun de nos forces. « Qui aurait cru que Bruxelles il y a sept ans allait donner l’exemple au monde entier en réussissant le passage au passif obligatoire? Qui aurait cru qu’à partir de quelques tuyaux en béton pour le puits canadien et quelques bouts de bois pour les façades, patiemment dessinés et stratégiquement posés par architectes et entreprises qui n’avaient jamais fait cela de leur vie, on réussirait à Schaerbeek, avec le bâtiment Aéropolis, le plus grand immeuble de bureau passif en Europe au moment de sa conception? C’est très cliché, mais ensemble on est capables de faire bouger les lignes, il faut le mettre en avant, ça rassure ceux et celles qui ont peur. » Il faut s’engager, elle en est convaincue. Aux Pilates, on dit qu’il faut inspirer sur quatre temps et expirer sur huit.« Idem dans la vie : réfléchir sur quatre temps, agir sur huit. Faut être utile ! »
« On a besoin d’histoires »
Les spécialistes maîtrisent de mieux en mieux les techniques, « mais pour motiver les troupes il faudra plutôt raconter des histoires humaines, qui baignent dans une réalité émotionnelle fédératrice que nous pourrons partager, une sorte de communion, puissante, rassembleuse, capable de nous faire bouger ensemble, dans une même direction. » D’ailleurs, quand Bill de Blasio, maire de New York jusqu’en 2021, rêvait d’imposer le passif à sa mégalopole en prenant Bruxelles comme modèle, c’était bien sûr dans l’espoir de réduire les émissions de gaz à effet de serre mais surtout pour permettre aux familles à faibles revenus d’investir leurs économies dans l’éducation de leurs enfants plutôt que dans des frais de chauffage et d’air conditionné. « L’humain, l’espoir et les émotions, ça fédère bien plus que la notion d’X degrés en plus ou en moins. »
Les histoires, elle les lit, obsessionnellement, par phases. Oates, Hustvedt, Virginia Woolf, Toni Morrison, mais aussi Steinbeck, Vinciane Despret, Michel Serres, Le Tellier. « Thinking Fast and Slow, de Daniel Kahneman, a changé la configuration de mes neurones. Ma famille n’en peut plus, je le cite à longueur de journée. » Et Patti Smith, en boucle, toujours très fort.
Engagée
L’architecture est encore aujourd’hui dominée par les hommes, mais nombreuses sont les instances qui souhaitent que cela change. Sabine Leribaux fait partie de plusieurs groupes de travail au niveau belge et européen qui proposent des voies de sortie. Elle module néanmoins son propos : « Si la règle enfouie de force au fin fond de nos cervelles d’enfants stipulant que “le masculin l’emporte toujours sur le féminin” est source de discriminations dans la pratique de mon métier, elle est surtout à la fois l’invitation et le sceau justifiant exclusions, exactions, meurtres, viols, violences faites aux femmes chez nous et partout dans le monde. »
On sent que cette femme est perfectionniste, jusqu’auboutiste. À essayer toujours d’être utile, sans y arriver à chaque fois – « il faut accepter les plantages et les moments de découragement sinon on ne tente plus rien ». Avec le trouble du doute, immense, qui rend vivant(e), pertinent(e), éveillé(e).
Sabine Leribaux est ancrée, droite et souple, comme un lien entre ciel et terre, ce « tout » si essentiel à ses yeux, qu’elle veut doux, pour toutes et tous. Derrière la grille de l’École Européenne, on imagine son passé, quand, enfant, elle restait perchée des heures dans les arbres à décider que plus tard, elle participerait, elle ferait sa part « comme les lézards qui bouffaient les moustiques ou la pluie qui faisait pousser les fleurs ». Devant nous, on voit son regard qui, déterminé et enrobant, plonge vivement vers demain, même quand passe l’espace d’un instant, comme un voile nostalgique, ou infiniment tendre. On ne sait pas.
« Il y a quarante ans, assise sur le gazon en pente de l’École européenne, juste derrière moi sur la photo, je regardais exactement dans la même direction, le même axe, persuadée que j’allais un jour changer (un peu) le monde. J’ai gardé cet idéalisme, certes un peu crédule, mais générateur d’espoir. Et l’espoir est utile: il fédère. »
Quelques réalisations d’architectesassoc+
– AEROPOLIS, premier immeuble de bureau passif de grande taille à Bruxelles.
– GREENBIZZ, ateliers et incubateur zéro-énergie.
– HAVESKERCKE-BAMBOU, projet de logement à Forest, à un jet de pierre de la Maison communale d’Uccle.
– ou encore le projet CCN en cours.
Son Uccle
Elle aime le vert, les bois, la nature apaisante. « C’est ce qui nous a attiré ici il y a vingt-sept ans. » Elle aime aussi l’Ecole européenne, où elle a atterri à 16 ans en direct du Texas profond, pour l’accueil, pour l’ouverture d’esprit, l’intégration des variables d’apprentissage et d’intelligences. « La richesse de l’enseignement m’a profondément marquée : c’est là que j’ai découvert qu’il existait un monde plus grand que celui très étriqué que mes parents avaient fui, et auquel l’adolescente que j’étais était encore très attachée en arrivant. »
Elle n’aime pas le secondaire de Notre-Dame des Champs. « Un cours sur la neurodiversité leur ferait du bien, ou déjà lire L’Autobiographie d’un Poulpe, de Vinciane Despret, pages 93 à 100. » Alors, elle rêve d’écoles secondaires comme l’école active rue de Stalle, accessoirement de rencontrer François Damiens, et peut-être d’un monde sans barbelés entre les jardins. « Ça existe peut-être ailleurs, mais quand je l’ai découvert dans mon jardin ucclois, j’étais atterrée. »
Son lieu secret
La maison Van Buuren, ex-æquo avec l’immeuble de logements dans lequel se trouvent ses bureaux, avenue de l’Observatoire. « En matière d’habitat collectif, il est exemplaire à plus d’un titre : merveilleusement en résonance avec son cadre naturel, immenses terrasses et plans modulaires, mode constructif performant. Une œuvre cosignée Jasinsky et van Oost. »
Ses adresses favorites
– La Maison Pétré
« Mes filles ont été élevées aux saucisses de chez Pétré. Une institution chez nous. »
1 rue Édith Cavell 02/343 11 42
– Le Fromageon
« Cheese is life. »
309 rue Vanderkindere 02/344 26 12
– La Pharmacie 36°8
« Un lieu calme, doux, où on vous écoute. Très professionnel, très humain, je glisse ici un merci discret. »
1063 chaussée de Waterloo 02/374 51 98
– Il Carpaccio
« Filet de bar et vin des Pouilles, c’est à deux pas du bureau, on débarque toujours sans réserver et jamais recalé(e)s. »
1033 chaussée de Waterloo 02/374 57 67
– Dressing Room
« Je fais très peu les magasins, mais ici je sais que j’y trouverai le petit bijou parfait comme cadeau de Noël ou d’anniversaire. »
2 parvis Saint-Pierre 02/343 10 02