The Lord of Darkness
The Lord of Darkness

Wolvendael 666: diable de numéro! 

Le premier anniversaire de la pandémie qui coincide avec le six cent soixante-sixième numéro de votre magazine préféré? Diable! Nous ne croyons pas au mauvais sort, mais l’occasion était belle de  regarder de plus près la mythologie entourant ce chiffre tant redouté… Sébastien Morgan, l’auteur de fantastique (*) qui travailla longtemps au Wolvendael, décode les arcanes de cette numérologie infernale. 

Comment “666” est-il devenu le chiffre de la Bête?

Que d’encre n’a pas fait couler l’interprétation du fameux chiffre de la Bête, “666”!  A l’origine, ce passage de l’Apocalypse: “A tous, petits et grands, riches et pauvres, hommes libres et esclaves, elle impose une marque sur la main droite ou sur le front. Et nul ne pourra acheter ou vendre, s’il ne porte la marque, le nom de la bête ou le chiffre de son nom. C’est le moment d’avoir du discernement: celui qui a de l’intelligence, qu’il interprète le chiffre de la bête, car c’est un chiffre d’homme: et son chiffre est six cent soixante-six.” (Ap 13; 16 – 18).

Sur Internet, dans les milieux conspirationnistes, fleurissent les interprétations farfelues et littérales où 666, tour à tour, est un code-barre qui serait tatoué sur les citoyens d’un futur dystopique, une puce greffée sous la peau à l’occasion de la vaccination anti-Covid, ou le chiffre clé donnant le contrôle d’Internet. Tout cela n’est pas 9-9-9… En dehors de ces interprétations fumeuses ou ridicules, on peut dire que, dans le genre particulier qu’est la littérature apocalyptique des premiers siècles du christianisme, la symbolique chiffrée est un recours classique pour suggérer un sens religieux. Ici, la signification la plus courante donnée à ce chiffre mystérieux est celle de Saint Irénée de Lyon (177 – 202).

Le 7 est parfait mais le 6 est inachevé…

Pour Saint Irénée de Lyon, depuis la plus haute antiquité, le 7 est le chiffre de la perfection, mariage du 4 (chiffre du monde créé, des 4 éléments, des 4 points cardinaux…) avec le 3 (chiffre divin par excellence, puisque chiffre de la Trinité). Le 7 est également le chiffre de la Création puisque le monde fut créé en sept jours. Et si le 8 est le chiffre du monde transfiguré, accompli, le 6 est celui du manque, de l’inachevé.  Dans la Genèse, le septième jour, Dieu se repose, c’est-à-dire qu’Il contemple Sa Création, qu’Il s’installe dans une relation libre avec elle. Relation d’altérité, mais aussi d’Éternité. Le repos de Dieu n’est pas passif. Au contraire, pour Saint Irénée, le repos est Présence, Lumière infusée au cœur de la matière non encore transfigurée. La Création n’est pas seule, elle expérimente, en permanence, une relation avec son Créateur.

Le Paradis Perdu, Gustave Doré

Or du point de vue des Pères de l’Église, le 6 refuse d’entrer dans cette dynamique divine. Le 6 rejette l’accomplissement prévu par le Créateur, il ferme les portes, se coupe de la transcendance et se faisant, il se déclare autosuffisant.  Pourquoi le 6 est-il répété 3 fois pour donner le 666? Toujours pour Irénée, on doit y voir le principe du chiffre appliqué à tous les niveaux de l’être: corps – âme – esprit. 

Le chiffre du Rebelle 

Le 666 symbolisant la volonté d’autonomie devient donc, dans l’imaginaire collectif, le chiffre associé à celui qui est présenté par la tradition judéo-chrétienne comme l’Adversaire, l’archétype du rebelle refusant le plan imposé par Dieu: Lucifer, bientôt associé dans ce même imaginaire à Satan[1]. Cette rébellion primordiale est associée au mal absolu dans l’interprétation dogmatique, et ce fameux personnage de Satan devient le bouc émissaire et la source supposée des fléaux qui frappent l’humanité. Fléaux au premier rang desquels se trouvent les guerres, mais aussi les épidémies dont celle, terrible, de peste qui décimera un tiers de la population européenne au XIVe siècle.

Le diable, l’ennemi par excellence

À la fin du Moyen Âge, le personnage du diable prend une importance considérable et dans les esprits, il devient la personnification du mal que l’on prétend voir chez l’autre. C’est le début des Guerres de Religion et des funestes “chasses aux sorcières” où l’accusation de commerce avec le diable mène à la salle de torture et au bûcher. Dans un registre moins tragiquement superstitieux, cette personnification toute puissante du mal sera une source d’inspiration sans fin pour la culture populaire. 

La carte de l’enfer, Sandro Botticelli

Les diables célèbres

Il faudrait un livre entier pour examiner les différentes incarnations de la figure diabolique. De l’épouvantail mortifère menant au bûcher à la figure tragique du “Paradis Perdu” de John Milton, du monstre à abattre du jeu vidéo Diablo au sympathique hédoniste, patron de boîte de nuit, de la série “Lucifer”, l’archétype du Diable – Lucifer est l’expression de nos peurs, de notre inconscient, de nos fantasmes et de nos désirs inassouvis y compris ceux les plus légitimes de liberté face aux carcans d’une société trop normative et étouffante. À ce titre, on peut citer par exemple “Les Litanies de Satan” de Charles Baudelaire et “Les versets sataniques” de Salman Rushdie, dont le point commun fut la censure dont ils furent l’objet par les pouvoirs “bien-pensants” autocratiques qu’ils dénonçaient. 

666 , une véritable mine pour la culture pop, ciné et vidéo

Les représentations du Diable dans la culture pop contemporaine sont innombrables. Pour rester dans le thème, on se limite à…  6. 

Omen, la Malédiction (1976) 

Omen, l’affiche du film © 20th Century Fox

Réalisé par Richard Donner, avec Gregory Peck dans le rôle principal. Dans ce thriller surnaturel désormais classique, un père découvre que son enfant adopté n’est autre que l’incarnation de l’Antéchrist. Identité confirmée par le mystérieux “666” tatoué sur le crâne de l’enfant.  

Legend (1985) 

Legend, avec Tom Cruise

Dans le célèbre film de Ridley Scott, premier rôle de Tom Cruise, le Diable se nomme Darkness et cherche à provoquer la nuit éternelle en tuant les licornes qui maintiennent l’harmonie du monde. L’apparition du démon sortant d’un miroir lors de la scène finale est d’anthologie (quel magnifique symbole que ces “ténèbres” jaillissant du miroir de l’inconscient!). L’apparence du Diable, incarné par Tim Curry, quoique classique avec sa peau rouge, ses sabots et ses longues cornes, reste l’une des plus célèbres du cinéma. 

“666, The number of the beast” (1982) 

666: quand on aime, on ne compte pas

Un morceau du célèbre groupe rock Iron Maiden. Classé en 7e place des 40 meilleurs morceaux de métal de tous les temps par la chaîne VH1, le single est ressorti en 2002 en vinyle rouge. 

Diablo (1997)

Ce jeu vidéo des studios Blizzard est l’un des plus grands succès de l’industrie avec plus de 2,5 millions d’exemplaires vendus. Son système de jeu, nerveux et efficace, a été repris par un nombre incalculable de jeux, devenant par la même un style en soi, le “diablo like”. 

Dans ce jeu, Diablo a pris possession d’un royaume médiéval, infestant le château et les souterrains environnants de monstres, tous plus horribles les uns que les autres. Le joueur devra peu à peu s’enfoncer au cœur des souterrains qui ont des allures d’enfer afin de trouver Diablo et d’en débarrasser le monde. On retrouve dans ce jeu, de nombreuses figures de la mythologie démoniaque médiévale (Baal, Méphisto et la somptueuse, mais non moins terrible, Lilith). À noter que le jeu a connu des suites dont la dernière, Diablo 4, est attendue dans les mois qui viennent. 

Devil May Cry (2001) 

Ici aussi, ce titre à succès de l’industrie du jeu s’inspire des thèmes infernaux pour camper un univers inspiré de l’esthétique japonaise. Le héros s’appelle Dante, en référence bien sûr à Dante Alighieri et à son célèbre “Enfer”. Dans le troisième opus, on se verra d’ailleurs proposer l’exploration des différents niveaux de l’œuvre du poète florentin, reconstitués pour notre plus grand plaisir vidéoludique. À signaler que le 5e opus de la série vient de sortir sur les consoles dernière génération (PS5 et Xbox série X). 

On peut citer en passant le jeu “Dante’s Inferno” qui propose lui aussi une plongée dans les cercles infernaux de l’œuvre classique renaissante, immersion glauque assurée! 

Darksiders (2010) 

Enfin, l’acclamé “Darksiders”, œuvre de l’auteur de comics Joe Madureira. Dans cet univers à l’esthétique certaine, on incarne rien de moins que “Guerre”, l’un des cavaliers de l’Apocalypse. Celui-ci est censé s’interposer entre le Ciel et l’Enfer afin de défendre le libre arbitre de l’humanité. Preuve que dans la pop culture, les thèmes mythologiques sont une source inépuisable d’inspiration tant ils sont les reflets de l’inconscient collectif et de l’éternel questionnement existentiel de l’humanité en quête d’elle-même.    

Sébastien Morgan

(*) Le cycle des « Chroniques Merveilleuses » de Sébastien Morgan

Disponible en version papier ou kindle sur Amazon. 

La Flèche du Scythe, Chroniques Merveilleuses Tome 1, 2016. Gryphus Imperatorius, Chroniques Merveilleuses Tome 2, 2019. Le Sang du Dragon, Chroniques Merveilleuses Tome 3, 2020. La Pyramide Noire, Chroniques Merveilleuses, Tome 4 (à paraître, décembre 2021)


[1] L’assimilation de Lucifer, le porteur de Lumière, à Satan est relativement tardive.