Une quinzaine d’artistes ukrainiens de renommée internationale portent un regard sans concession sur leur passé et la réalité actuelle de leur pays qu’ils tentent de comprendre, d’illustrer. Et de provoquer. Fruit d’une collaboration entre l’ambassade d’Ukraine et l’échevinat de la culture, cette superbe exposition est à voir à la Maison des Arts et au CCU.

Kateryna Lisova

« Aujourd’hui, alors que la Russie tente de détruire notre pays et notre culture, si de nombreux artistes défendent leur pays par les armes, nous nous battons pour montrer au monde ce que l’Ukraine a à offrir et valoriser notre identité culturelle, portée par notre longue histoire et nos coutumes ancestrales ! », affirme d’emblée Kateryna Bilotil, directrice du Centre culturel et d’information de l’ambassade d’Ukraine en Belgique et au Luxembourg. « La culture, dit-elle, est un vecteur d’influence puissant, plus impactant que le mental de l’agresseur. »

« La culture ukrainienne n’a pas été sous l’influence de la culture russe, elle a été sous son oppression. Et maintenant, elle gagne son indépendance et affiche toute sa singularité »

L’art est en effet un outil susceptible de façonner l’opinion publique, en temps de guerre comme en temps de paix. Par leurs prises de positions radicales, les artistes sont souvent à l’origine de changements sociaux et politiques. « Lorsque la révolution de Maïdan – que nous appelons la Révolution de la Dignité – a commencé, en 2014, les artistes étaient les premiers à s’exprimer pour défendre leur liberté. Il faut savoir que si en général l’art se veut universel, en Ukraine la culture est avant tout contextuelle. La plupart des démarches artistiques sont imprégnées par l’histoire et les traditions, qui sont les marqueurs de nos valeurs », enchaîne Kateryna Ray, curatrice de l’exposition qui s’ouvre ce mois-ci à la Maison des Arts et au Centre Culturel d’Uccle.

« La culture ukrainienne n’a pas été sous l’influence de la culture russe, elle a été sous son oppression. Et maintenant, elle gagne son indépendance et affiche toute sa singularité », note Vitalii Adlermann, co-curateur de l’exposition, qui souligne d’abord que la guerre en Ukraine dure depuis 2014. « Les Ukrainiens ont toujours su qu’ils avaient été utilisés. Les artistes des années 1960 se battaient déjà pour la démocratie dans une société impérialiste et totalitaire », remarque de son côté Kateryna Ray. « Grâce à la Russie, nos pensées, nos aspirations et nos efforts sont dirigés dans une seule direction : la promotion et la pérennité de la culture ukrainienne en général, rajoute Vitalii Adlermann. Il faut reconnaître que l’invasion de nos terres a consolidé notre société et a permis de créer un socle de pensées commun. Et je ne parle pas seulement des curateurs, des historiens de l’art et des artistes. »

La puissance de la douceur

« L’art est notre soft power », dit encore Kateryna Bilotil. La force des artistes exposés à Uccle s’exprime par leur mode de pensée anticonformiste et leur interprétation personnelle des archétypes classiques de la mythologie ukrainienne. « Pour le moment, notre projet est principalement engagé dans des activités éducatives, pour souligner la différence totale entre les cultures russes et ukrainiennes et faciliter la compréhension de leurs origines propres », conclut Vitalii Adlermann.

Parmi les artistes exposés, Oleg Tistol, l’un des chefs de file de la nouvelle vague d’art ukrainien reconnu sur la scène artistique internationale. « Son travail, esthétique et formel, associe une critique de la culture soviétique avec la remise en question de ses clichés, à une ambiance légère et ludique qui caractérise la nouvelle vague ukrainienne », précise la curatrice. En mélangeant les symboles, les mythes et les utopies nationales soviétiques, il explore la question du simulacre et réunit de manière inattendue la propagande au pop art sur des plaques de pochoir, des fonds de couleur ou encore des surfaces peintes lisses. Réputé en Europe occidentale pour ses œuvres d’art numériques, Sergiy Petlyuk explore, lui, les questions de contrôle, d’agression, de violence, d’altérité et de peur découlant de la tension constante entre soi et la société dans le contexte de l’Ukraine post-soviétique avec ses normes sociales, ses stéréotypes, son nationalisme, ses bouleversements politiques et sa quête permanente d’identité culturelle. «Il exprime des sentiments et des souvenirs familiers, mais souvent refoulés, en les rendant visibles et inéluctables pour le spectateur dans un cadre artistique plutôt inhabituel.»

Pour sa part, Olexander Dubovik, icône de l’art indépendant ukrainien, s’est principalement fait remarquer dans les années 1980 avec ses œuvres d’avant-garde. « Dubovik était un artiste “renégat” sanctionné par l’État soviétique. » Dans sa recherche d’un art véritable et éternel, basé sur des processus mathématiques, philosophiques et de systèmes complexes, il emprunte une voie alternative et développe sa propre tradition qu’il qualifie de réalisme suggestif.

La plupart de ces artistes organisent parfois eux-mêmes des collectes de fonds, versent de l’argent aux forces armées et collaborent avec des associations caritatives sur le terrain.