SUR LE DIVAN

La matière est sa matrice, le hasard la guide, le temps se fait complice. La plasticienne Ariane Bosquet ouvre son atelier lors du parcours d’artistes d’Uccle.

AFFAIRE DE SOLIDARITÉ

Elle flirte avec le hasard, mais ne serait-ce qu’une coïncidence si l’Afrique l’a à ce point chamboulée ? Là, face à l’océan où se jettent les pirogues en quête d’un monde meilleur, Ariane tire un fil à transmissions, en immersion dans ces terres de migrations et d’exil, jusque dans ses expositions. « Transmettre par des titres, par des évocations, parfois avec des petites sculptures ou des installations miniatures qui parlent de l’exil avec des bois flottés, des choses que j’ai ramassées sur les plages. » Et, parce que tout semble faire sens dans la vie de cette femme de conviction, elle a hébergé deux migrants chez elle, dans la maison de ses rêves. Membre de la plateforme citoyenne, elle est aussi bénévole dans une maison d’hébergement pour femmes migrantes.

Ariane Bosquet aime citer Erik Orsenna pour parler de l’Afrique : « Quand l’indifférence des humains européens les uns envers les autres m’angoisse trop, je pars chercher la chaleur en Afrique. Mais, quand là-bas l’excès de solidarité m’étouffe, je reviens chercher chez moi de l’intime, de la solitude. » Voilà peut-être pourquoi Ariane Bosquet ne s’enferme jamais dans un système. Les différents chapitres de son oeuvre marquée par des périodes aux titres évocateurs – Indigo, Cicatrices, Naufragés – laissent embarquer le spectateur dans ses propres émotions, quitte à ce qu’il identifie un figuratif qu’elle ne voit pas. Et qu’elle passe à autre chose.

Là tout en haut d’un dédale sinueux, elle conserve son trésor qui restera sans doute caché aux visiteurs du parcours d’artistes. « Ce sont des toiles dans lesquelles j’ai mis beaucoup d’émotions intimes. J’ai vraiment du mal à m’en séparer. Celles-là ne sont pas à vendre. »

Elle aime cependant recevoir dans son atelier. « La maison de l’artiste, c’est une partie de lui-même, de ce qu’il met aussi dans cette toile. » Des parcours d’artistes aux expositions collectives, en passant par Art Truc Troc, elle est repérée par un galeriste. Elle fait partie de l’association Uccle Centre d’Art, qui lui offre la possibilité d’exposer à la Ferme Rose, et prépare une exposition d’échanges d’oeuvres avec le Japon.

PARCOURS D’ARTISTES ACTE 2 LES 25 ET 26 SEPTEMBRE.

Plus de 90 ateliers, une quinzaine de lieux… ce sont près de 200 artistes d’Uccle, Linkebeek et Drogenbos qui ouvrent leurs portes pour cette seconde partie du Parcours d’artistes 2021. Démonstrations, animations, rencontres. En prime, en collaboration avec la STIB, près d’une centaine d’oeuvres d’artistes ucclois embellissent la chaussée d’Alsemberg pendant les travaux de voirie. à visiter: Atelier 986 / Atelier du Dieweg / Atelier des Tilleuls / Espace 110 / Ferme Holleken / Ferme Rose / Maison Lismonde / La Lettre Volée / La Roseraie / L’Usine / Musée FeliXart / Music Town.

Ariane Bosquet recevra dans son atelier 7 rue de Verrewinkel, 1180 Bruxelles.

Ariane Bosquet a pris racine tout à côté des arbres majestueux du bois du Kinsendael dans le quartier du Verrewinkel. Peut-être parce qu’ils lui rappellent les baobabs de cette Afrique qu’elle aime. « J’ai découvert ici des arbres absolument dingues. On aurait même dit des arbres africains avec des lianes entremêlées. » Ou juste portée par un coup de foudre pour sa maison et ce coin d’Uccle qui lui colle à la peau.

Plasticienne matiériste, elle ramasse impulsivement tout ce qu’elle trouve, ou presque. « C’est un work in progress constant, sans idée préconçue ou recherche de départ. » Les matières organiques, terre, fer, végétaux, ou autres morceaux de métal et papiers sont sa source d’inspiration, récoltés quelque part dans la savane africaine ou en terroir ucclois. Après, elle chipote, colle, compose, colore : « Fatiguer les couleurs, chiffonner les papiers, rustiquer davantage les matières, jusqu’à l’écorchure. Au fur et à mesure les choses se mettent en place. Tout d’un coup, je me dis voilà, maintenant, ça y est et j’arrête. ». Le temps prend place dans son travail, il sublime l’usure, glisse et patine, imprime sa densité sur d’anciennes portes, des morceaux de bois vieillis, des bouts de métal usés. Ariane saute dans le passé pour récupérer ce qui a déjà vécu une autre vie avant elle et les figer dans une présence harmonieuse.

« L’intuition plutôt que l’intention, et tout garder, ne rien jeter »

LE FIL D’ARIANE

Une enfance baignée dans l’art, un job alimentaire dans l’audiovisuel à l’Opéra de la Monnaie, trois filles, puis vers 30 ans la rencontre déterminante avec un professeur à l’académie de Braine-l’Alleud. « Il m’a énormément fait travailler: les collages, les matières, tous les supports, l’intuition plutôt que l’intention, et la consigne de tout garder, ne rien jeter, passer à l’eau, nettoyer tout, observer ce qui apparaît. » En 2006, à la Biennale de Dakar, Ariane découvre l’Afrique : un choc et une révélation. Crescendo, c’est le coup de foudre total pour le Mali où elle est invitée à une résidence d’artistes. Alors, elle enchaîne carrément avec une pause carrière de six mois à Bamako. Elle découvre les artistes maliens qui travaillent avec des matériaux récupérés. « J’ai vraiment approfondi ma recherche artistique. J’ai par exemple décidé de quitter la toile et le papier comme supports pour explorer le métal et le sable de la dune Dogon. » Palette de couleurs terre et ocre, poussières de rouille, grandes toiles ensablées, l’Afrique booste sa créativité. Cette énergie ne l’a jamais quittée.

Sauf… Au retour de Bamako en mars 2020. Avec la sidération du premier confinement, ni brassages ni ramassages, et un atelier presque vide. Ariane repart à zéro, retour à ses premières amours : papiers, noirs et blancs, petits formats. De chipotages en gribouillages, elle se déverse dans un journal de 60 pages, d’où émerge la thématique du masque, parade contre la mort qui fait écho en elle aux masques africains portés lors des cérémonies mortuaires. Cacher pour percevoir derrière le masque, le voile ou le chèche. Comment concevoir et appréhender ce que l’on n’aperçoit qu’à moitié, les parents cloîtrés dans leurs murs ? Et d’enchaîner alors vers la séparation qu’impose le Covid. « Je me suis remise à travailler sur des murs et j’ai fait des murs, des murs, des murs, des murs, des murs à moitié délabrés, un peu comme je faisais dans le temps. C’est sorti de mes tripes et je pense que c’est ma manière d’être passée à travers cette crise. Ce travail a finalement été assez thérapeutique.» Pansements sur l’angoisse de l’enfermement pour cette voyageuse.