Le projet fou du dessinateur Pierre Gillis a débuté avec Jan Van Eyck. Six mois pour un seul dessin du maître de la peinture flamande dans son monde mystique du XVè siècle! Il n’arrête plus…

Ce dessin était le premier d’une série de vingt-cinq qui représentent, après Jan Van Eyck, les 24 maîtres absolus de l’histoire de la peinture, une sélection faite après des discussions acharnées par un jury de curateurs, professeurs d’histoire de l’art et amateurs éclairés. Dessiner un chef d’œuvre mondial est le pari que s’est donné Pierre Gillis. Dans sa petite maison de Gentbrugge (Gand), il dessine pendant trois à quatre heures chaque jour, dimanches compris. Aux murs, quelques belles toiles de son grand-père Piet Gillis, surnommé le dernier impressionniste flamand. Devant lui, à plat sur une table, la feuille d’épais velin sur laquelle il recrée d’un crayon qui ne tremble pas l’univers entier d’un des 25 plus grands peintres de tous les temps qu’il a choisi d’illustrer. Leurs œuvres, leur famille, leurs mécènes, les demeures et les lieux où ils ont vécu, les grands moments de leur vie, tout s’imbrique avec une minutie d’horloger et une précision de scalpel dans une seule image de 60 cm de large. Au prix de plusieurs années de recherches et de six mois de travail, au bas mot, pour un unique dessin d’une extraordinaire finesse. 

“Ni gomme, ni grattoir: il n’y a pas de défaut quand on y met le temps et le soin qu’il faut.”

Ni gomme ni grattoir pour rattraper les défauts, il n’en a pas:  “Il n’y a pas de défaut quand on y met le temps et le soin qu’il faut.” Architecte de métier et dessinateur hors pair, Pierre a décidé un jour, à l’approche de la septantaine (il a 73 ans aujourd’hui), de se lancer dans ce travail titanesque, l’ultime pour lui. En commençant bien sûr par Jan Van Eyck, fatalement le peintre le plus cher au cœur de ce dessinateur amoureux de sa ville de Gand, qu’il ne quitterait pour rien au monde. Connu comme le loup blanc dans la cité d’Artevelde sous son pseudonyme de caricaturiste, Gipi, (pour Gillis, Pierre) il en a croqué tous les B.V. (Bekende Vlamingen) et leurs quartiers de résidence pendant des années de collaboration au journal local, “De Gentenaar”.

Pierre Gillis face à son dessin sur Escher, pas encore terminé
Pierre Gillis dans sa maison, face à son dessin sur Hans Escher, alors qu’il n’était pas encore terminé (photo S.P.)

Il a commencé à Uccle, avec Franquin

C’est aussi à Gand, à Saint-Luc, qu’il a étudié l’architecture. Mais c’est à… Uccle, dans l’atelier d’André Franquin qu’il considère comme un des plus grands génies du dessin, qu’il a vraiment découvert sa vocation de caricaturiste: “Nous étions quelques débutants autour de lui. Il nous a donné à chacun un crayon et nous a montré, en nous tapant sur les doigts, comment le tenir et surtout, à dessiner en s’appuyant sur le bout du petit doigt posé sur le papier. Le petit doigt devient ainsi un point d’appui, un pivot autour duquel la main tourne, tenant fermement le crayon sans tremblements ni fatigue.” La première leçon, magistrale, a été la bonne. Gillis a continué à collaborer au sein de l’atelier de Franquin, avant de se lancer solo dans une carrière qui lui a valu un titre de meilleur dessinateur d’Europe – tout en exerçant par ailleurs la profession d’architecte et en devenant également, par goût, un excellent chef coq. Il met la même passion à concocter des menus (et à les calligraphier) que dans tout ce qu’il entreprend.

Pour faire vivre le monde de Jan Van Eyck avec exactitude jusque dans les tentures et les vases de fleurs, il a écrémé plus de 500 toiles de l’époque. Et a fait de même avec Bosch, Léonard de Vinci, Le Caravage, Rembrandt, Rubens, Vermeer, Dürer, Michel-Ange, Turner, Goya, Van Gogh, Monet, Picasso, Mondrian, Escher, Lucian Freud, Ensor, Wilkie, Alfred Stevens, De Kooning, Hokusai, Caspar Friedrich, Andy Warhol, Roy Liechtenstein, Frieda Kahlo… L’immense travail est aujourd’hui plus qu’à moitié terminé. Au rythme de six mois par dessin, Gipi a encore quelques années de plaisir devant lui. S.P.