Par CILOU DE BRUYN & THIERRY FIORILLI

« Venez chez nous. » C’est, en gros, l’invitation que la commune lance aux commerçants de la Ville de Bruxelles, éreintés par la diminution du flux de leur clientèle traditionnelle. Une stratégie très claire, déjà à l’œuvre et qui fera l’objet d’une campagne dès 2022.

C’est peu dire que les dernières années ressemblent à un chemin de croix pour les commerces du centre de Bruxelles. Travaux exigés par la nouvelle politique de mobilité (dont le piétonnier) depuis l’été 2015, lockdown post-attentats de Paris il y a pile cinq ans, traumatisme collectif après ceux de la station Maelbeek et de l’aéroport en mars 2016, confinements et télétravail imposés par la pandémie dès le printemps 2020… Bref, moins de passage, moins de touristes, moins de navetteurs, moins de voyages d’affaires. Donc moins de clients. Beaucoup de magasins ont dès lors soit fermé boutique, soit plié bagage, soit tirent le diable par la queue. Chiffré, le constat est impitoyable : selon une étude de Hub Brussels, l’Agence bruxelloise pour l’Accompagnement de l’Entreprise, le taux de cellules commerciales inoccupé sur l’ensemble du territoire bruxellois était de 13,69 % en septembre dernier alors que celui du centre-Ville montait à 17,59 %. Pour 14, 22 % dans la première couronne (Anderlecht, Etterbeek, Ixelles, Koekelberg, Molenbeek, Schaerbeek, Saint-Gilles et Saint-Josse) et 11,15 % dans la deuxième (Auderghem, Berchem, Evere, Ganshoren, Forest, Jette, Uccle, Watermael-Boitsfort et les deux Woluwe). Et ce, rien qu’entre janvier 2020 et septembre 2021. Mais la tendance, au vu des événements ayant précédé la crise sanitaire, s’est bel et bien amorcée bien auparavant.


Les travaux chaussée d’Alsemberg n’y ont pas asphyxié la vie commerçante.

C’est dans ce contexte douloureux que plusieurs enseignes se sont installées à Uccle, ces derniers mois ou dernières années, abandonnant le centre-ville ou misant sur un comptoir supplémentaire pour sauver leur peau. Dierendonck et The Barn Bio Market rue Vanderkindere, Saint-Octave, Forcado, Laurent Gerbaud, Callier, Les Filles et Ecocyclo chaussée de Waterloo, Färm à la Bascule, au Vivier d’Oie et au Globe , Petit Boudoir, Blender et Millys&Stella rue Xavier De Bue, Mellow Concept et No Concept rue du Doyenné, Fleur de pain au Parvis St Pierre, Colonel au Fort-Jaco, La Meute à Saint-Job… Et bientôt, notamment, Poz Café rue du Postillon.

La campagne de séduction

De quoi pousser la majorité communale uccloise à accélérer le mouvement. « Dans les mois qui viennent, commente le bourgmestre, Boris Dilliès, nous lancerons une campagne de communication, qu’on peut résumer en un slogan : ’’Bienvenue à Uccle.’’ Nous voulons faire venir ou continuer à faire venir ’’le beau Bruxelles à Uccle’’, en termes de commerce local. Nous allons donc draguer toutes les belles enseignes, un maximum en tout cas, qui pourraient venir sur Uccle. En profitant, de façon très opportuniste, de la déliquescence d’une partie de Bruxelles, du fait que des enseignes ont envie de venir chez nous on le voit de manière assez évidente avec l’explosion commerciale au niveau du Vivier d’Oie et du fait que les Uccloises et les Ucclois y sont intéressés : ils aiment rester à Uccle et bouger le moins possible tout en ayant un accès maximal à tout. »

Valentine Delwart, échevine à l’Économie, au Commerce et aux Finances notamment, se veut « moins belligérante que le bourgmestre » mais partage l’objectif : « Ce n’est pas tant la question de profiter des difficultés des autres, qui sont inhérentes à la conjoncture. C’est davantage qu’on a constaté durant la crise sanitaire une stabilité au niveau commercial. Loin de moi l’idée de dire que les commerçants ont eu la vie facile mais il y a eu moins de fermetures et de faillites qu’ailleurs, tant en ce qui concerne les commerces classiques que l’Horeca. Ça signifie qu’il y a une clientèle qui est plus captive, plus proche. Et c’est une valeur ajoutée qu’on veut mettre en avant. Parce qu’elle n’est peut-être pas suffisamment connue. »


La Fleur du Pain, l’une des nouvelles enseignes ouvertes au parvis Saint-Pierre.

La campagne démarrera en 2022, une fois l’agence de communication sélectionnée. « Ce sera une campagne de marque, de réputation, sur l’ensemble de la Région et dans le cadre de notre collaboration avec Hub, explique Valentine Delwart. Peut-être pas visible à la télé (je veille aux bonnes finances de la commune, tout de même !) mais via des encarts dans la presse et, nous le souhaitons, sur les trams de la STIB. Ce serait un must de circuler dans tout Bruxelles. »

La mise en avant des atouts d’Uccle

Ce sont évidemment les points forts de la commune qui serviront d’appâts. « Notamment, on a un avantage, qui n’est pas neuf mais qu’on souhaite rappeler aux commerçants potentiels, expose Boris Dilliès : une formule de guichet unique. C’est-à-dire que le commerçant souhaitant ouvrir une enseigne à Uccle n’est pas baladé dans 50 000 services. Il a, à l’échevinat du Commerce, un contact direct avec quelqu’un qui va prendre la main sur toutes les autorisations nécessaires, celles urbanistiques et celles pour l’Horeca comprises. C’est un service qu’on offre. On doit le formaliser et le communiquer. On a une bonne connaissance du tissu, donc on va aller démarcher aussi. Outre la vision à long terme, nous faisons preuve de proactivité. »

L’échevine du Commerce confirme : « On voudrait qu’Hub mette Uccle dans le haut de la liste des communes recommandées aux futurs commerçants. Aujourd’hui, il y a trop de recommandations pour d’autres et pas assez pour la nôtre, malgré son potentiel. On a plein d’atouts : le guichet unique, zéro taxe commerciale pour les terrasses et les enseignes, zéro démarche administrative pour ouvrir un commerce, dès lors que le permis est en ordre. Il y a un travail des services urbanistiques pour être le plus proactif et efficace possible, donc pour réduire les délais. Pour mettre le moins de freins possible à l’installation. C’est déjà le cas aujourd’hui et comme on fait bien les choses, on doit le faire savoir. C’est dommage de pas mieux communiquer. Uccle, c’est plus un ensemble de villages qu’un centre commercial. Chaque village a son identité, est soutenu par des associations de commerçants, ce qui donne une dynamique de quartiers capitale et un vrai plus pour un commerçant qui s’installe. On voit que ça va bien et on veut que ça aille encore mieux. En s’appuyant sur les succès ucclois : valoriser le fait qu’on a déjà de très belles enseignes. Elles existent ailleurs mais elles disent que ce qui les a permis de traverser la crise sanitaire, c’est leur enseigne uccloise, qui a mieux fonctionné que celles qu’elles ont à Saint-Gilles, Bruxelles ou ailleurs où la présence des bureaux est plus importante. »


Le nouveau comptoir Saint-Octave, chaussée de Waterloo.

Les enseignes de qualité ciblées

Si la campagne de réputation brassera large, dans ses supports et son rayonnement, elle vise un type d’enseignes bien précis, admettent Boris Dilliès et son équipe : « C’est comparable à ce que les propriétaires immobiliers ucclois ont en tête, résume Arnaud Carlot, le chef de cabinet du bourgmestre. Dans l’immeuble Cavell construit à la place de l’hôpital, il y a quatre cellules commerciales de 100 m2 et le propriétaire est conscient qu’il ne va pas y ouvrir un Lidl. Il cherche des enseignes de qualité. Il nous a contactés dans ce but. » Valentine Delwart enchaîne : « On vise des commerces de qualité qu’on trouvait uniquement dans certains quartiers de la Ville de Bruxelles, où les gens à haut pouvoir d’achat allaient faire leurs courses. Des commerces qui ont constaté que, là-bas, ils ne s’en sortaient plus, parce que le flux de clients ne suivait plus. Ils souhaitent donc s’installer en périphérie de Bruxelles. Or nous sommes cette périphérie, très immédiate. Dierendonck par exemple, installé rue Vanderkindere, y a fait un test et s’est rendu compte que ça marchait du feu de dieu. Il a dès lors entrepris des travaux assez importants pour s’y développer. »

Autre constat justifiant à l’opération séduction XXL : plusieurs enseignes, déjà présentes à Uccle, en ouvrent une deuxième, toujours dans la commune. Rhino, rue Vanderkindere à hauteur du Vivier d’Oie, Badaboum, dans la même rue mais à hauteur de Cavell, Bike your City chaussée de Waterloo à hauteur de la Bascule), Capoue rue Xavier De Bue, Saint-Aulaye… Explication, selon l’échevine du Commerce : « La mobilité, point noir pour toute la Région, et la pandémie ont accentué la volonté du chaland à rester de plus en plus proche de chez lui. Les enseignes installées à Uccle se rendent compte que leurs clients font de moins en moins les trajets, même sur le territoire communal. C’est un autre argument à mettre en valeur : l’identité de quartier, toujours plus forte ici. Une étude de Hub, parue l’an dernier, a ainsi montré qu’Uccle Centre est l’un des plus gros centres commerciaux à ciel ouvert de la Région et le plus gros de cette zone-ci de Bruxelles, alors qu’il a maintenu son aspect de village. »

Objectif : un « monde complet »

Cet « aspect village » est l’un des piliers de la stratégie communale pour courtiser le commerce. Mais pas que le commerce. Bureaux et entreprises sont à draguer aussi. « Comme ça a été fait avec le théâtre Le Public par exemple, qui ouvrira deux salles en 2023 là où est située actuellement la Justice de Paix, sur le parvis Saint-Pierre, confirme Boris Dilliès. Il ne nous est pas tombé dessus comme ça : c’est le fruit d’un travail en amont, de contacts qui ont duré deux ans. Pareil pour le futur stade national de hockey. Il faut de grands projets, qui fassent en sorte que l’Ucclois se sente le citoyen le plus heureux de Bruxelles, de Belgique et du monde. C’est aussi simple que ça. Qu’il se dise : ’’Il n’y a pas mieux !’’ Et quand on dit ’’l’Ucclois’’, on le dit en tenant compte de la sociologie très large de la commune. Avec ceux qui seront intéressés par le Public, ceux plutôt par le hockey, etc. »

Valentine Delwart précise que « la stratégie bureau n’est pas intégrée dans la campagne mais elle l’est dans notre déclaration de politique générale : on a diminué la taxe sur les bureaux jusque 100 m2, pour justement inciter l’Ucclois et d’autres à avoir son bureau ici, sur sa commune. Pour des raisons de qualité de vie, d’effets sur la mobilité, de dynamisme économique. Pour autant, on n’est pas une commune de bureaux, comme l’est Auderghem, et on n’a pas vocation à le devenir. Aussi, et on l’a vu avec la crise sanitaire, c’est très risqué pour une commune de baser beaucoup de sa fiscalité là-dessus. Ce n’est pas notre souhait. En revanche, créer une sorte de ’’monde complet’’ que l’Ucclois puisse faire ses courses, scolariser ses enfants, travailler dans sa commune –, ça oui. Faire en sorte qu’il y a la possibilité d’’’avoir’’ sa vie dans sa commune. On a la chance d’avoir une commune qui est très vaste, ça permet cette réflexion-là. D’ailleurs, pas mal de commerçants qui viennent ouvrir à Uccle habitent à la base au nord de Bruxelles et, dans les deux ans qui suivent l’ouverture de leur commerce ici, ils viennent s’y installer aussi. »

Ce qui fait dire au bourgmestre que « le réaménagement complet de la place Saint-Job entre dans cette logique, même si c’est du plus long terme. Uccle est la deuxième plus grande commune de Bruxelles mais elle n’a aucune place publique digne de ce nom. » Son échevine du Commerce affine encore : « Un réaménagement public a aussi son importance pour un quartier commerçant. Pour ceux qui y sont comme pour ceux qu’on entend attirer. On ne peut pas dire ’Venez chez nous’’ si on y trouve des trottoirs défoncés. »


Le troisième magasin ucclois de Färm : chaussée de Waterloo.

Vitrines vides : maintenir les 10 %

Le critère du loyer ne joue-t-il pas en défaveur de la commune dès lors qu’il est question d’attirer de nouveaux commerces ? « Il reste important à Uccle, concède Valentine Delwart, mais entre un loyer au Sablon et un loyer rue Xavier De Bue, il n’y a pas photo. C’est ce qui explique qu’on a si peu de vitrines vides. Le quartier d’Uccle Centre est un bon exemple : chaussée d’Alsemberg, malgré les travaux qui ont un impact très fort, qui ne seront terminés qu’à la fin de l’année pour le centre commercial et à la fin de 2022 pour l’ensemble de la chaussée le tram n’y recirculera qu’à partir de 2023 , il y a très peu de vitrines vides sur la chaussée. On est sur un taux resté aux alentours de 10 %, ce qui est la moyenne des quartiers commerçants, où il y a toujours du turn-over. Simplement, on veut intensifier la dynamique pour arriver à un minimum de vitrines vides. C’est souvent un cercle vicieux ou vertueux : des quartiers commerçants où les vitrines vides se multiplient voient les autres commerces fermer. Donc il faut maintenir la dynamique inverse. À partir du moment où il y a une reprise économique généralisée, on doit l’accompagner pour rester à ce taux, qui est sain pour le renouvellement d’un quartier. Et c’est valable en termes de vie de quartier : un quartier qui vit bien économiquement est plus agréable qu’un quartier sans commerces, qui souffre alors beaucoup plus vite de manque de propreté, etc. »

CELLULES COMMERCIALES VIDES À BRUXELLES ET À UCCLE

Voici les taux moyens dans le centre-ville et à Uccle, par quartier, par ordre décroissant
et selon une étude de l’Agence bruxelloise pour l’Accompagnement de l’Entreprise (Hub Brussels) parue mi-octobre. Chiffres arrêtés au 1er septembre dernier.

Dans le centre

Marolles : 24,06 %

Vismet : 23, 75 %

Congrès : 22,55 %
Mont des Arts : 21, 92 %

Midi : 19,21 %

Dansaert : 17,69 %
Rue Neuve : 16,73 %

Grand-Place : 14,21 %

Saint-Jacques : 10, 61 %

Sablon : 10, 34 %

À Uccle

Vert Chasseur : 19, 44 %
Silence – Bourdon : 19,05 %
Langeveld : 16, 92 %
Rue Vanderkindere – Edith Cavell : 16, 82 %

Etoile-Coghen : 16,67 %

De Fré : 15 %
Place Vanderkindere : 14, 67 %

Stalle : 14, 29 %
Uccle Centre : 10, 33 %

Calevoet : 9,09 %
Bascule : 7,86 %
Fort-Jaco : 7, 65 %
Vivier d’Oie : 6, 10 %
Saint-Job : 5,45 %