Cavell

C’est l’une des figures du quartier. Sa Boucherie Jean-Pierre y est ancrée depuis vingt-trois ans (rue Vanderkindere), réputée tant pour la qualité de ses produits que pour l’incroyable collection de statues et effigies de vaches qui y trône. Cavell, Jean-Pierre Bontemps connaît mieux que sa poche de tablier. « J’ai vu toute son évolution, ses hauts et ses bas, surtout présents ces dernières années. » Et notamment à la suite de la fermeture de l’hôpital, il y a cinq ans. « Une catastrophe pour les commerces autour. Beaucoup ont fermé, comme le fleuriste en face. Les autres ont ressenti une perte nette de clients et le chantier de construction de bâtiments résidentiels, à la place de la clinique, comme la pandémie n’ont rien arrangé. » Jusqu’en février dernier, où « c’est reparti à la hausse, avec plusieurs nouvelles enseignes notamment ». Dont les boulangeries Fine, à côté de la Boucherie Jean-Pierre, et Au Macaron, rue Edith Cavell (où s’est ouvert aussi le magasin de vêtements pour dames Comme une Rose), la Maison Viana (coiffure & esthétique) et le barbershop Bohème, rue Joseph Stallaert, ou le M’zuri Care Center, rue du Pacifique. Bref, pour celui qui est président de l’association des commerçants locale, « on peut dire que le quartier se développe bien, que sa sociologie reste plutôt chic, qu’il y a plus d’espace pour les riverains » même si « on ne répare pas pour autant les trottoirs qui devraient l’être » et qu’il y a trop de mesures impactant le trafic des voitures, « comme ces box à vélos à la place d’emplacements de parking ». Ou la transformation de la rue Vanderkindere en artère cyclable, et qui accueille aussi depuis fin octobre des bancs potagers.

Jean-Pierre Bontemps

L’embellie

Thibaut Lemaître n’est pas d’accord. Patron de La Lasagneria, rue Général Mac Arthur, ouverte en 1961 par sa grand-mère (venue de Vénétie) et son grand-père (ardennais), il voit le quartier « bouger beaucoup depuis un ou deux ans » et plutôt bien. « On a souffert à cause des travaux, avec des déviations,

des rues fermées parfois aux deux extrémités, mais on a rénové
des maisons tout autour, une nouvelle population est apparue, des Français, des Scandinaves, des Anglais, même si pas mal sont partis avec le Brexit. Et je peux parler, en ce qui me concerne, d’un boum d’une clientèle plus aisée, grâce au bouche-à-oreille.
» Pierre Pétré, du nom de l’antique Maison Pétré, de fruits, légumes, gibier et volaille, installée rue Edith Cavell depuis 1936, confirme que
« le quartier devient plus résidentiel, plus agréable, plus humain, avec moins de pression automobile, moins de bruit, des gens qui
se promènent, ce qu’il n’y avait plus. Il rajeunit aussi, entre autres parce que de jeunes familles viennent habiter rue Vanderkindere, dans des maisons qu’elles rénovent. C’est un quartier qui évolue bien, restant de qualité et très mixte, en termes socio-économiques
et d’âge.
»
Un quartier où il est personnellement installé depuis trente-cinq ans et dont il résume l’évolution commerciale en différentes phases : « Les Golden Sixties où tout se développait, les années 1970 et la crise pétrolière qui marquent un ralentissement, le tout début des années 1980 et une belle reprise jusqu’à la première fermeture de l’hôpital Cavell, en 1983, pour cause de faillite, puis
à nouveau le rebond jusqu’au déménagement de la clinique, en 2017, qui nous entraînait dans l’inconnu.
» Pour Pierre Pétré, cet inconnu est aujourd’hui dissipé : « L’hôpital était le moteur du quartier mais il était devenu finalement un frein au commerce, parce qu’il n’y avait plus moyen de se garer, vu l’afflux des patients, des visiteurs, des médecins. Son départ à Delta ne constitue donc que
du positif, pour notre enseigne en tout cas : même s’il y a moins
de passage, nos clients traditionnels peuvent plus et mieux nous fréquenter.
»

D’hôpital à résidence

Le site de l’ancienne mythique clinique, créée en 1915 – il ne reste plus que le Centre médical Edith Cavell, soit une clinique de jour, rue Général Lotz –, a été complètement réinventé (le chantier s’est ouvert en 2019 et n’est pas fini) et abrite désormais le Cavell Court, soit 150 appartements et 199 emplacements de parking en sous-sol répartis

sur cinq immeubles : le bloc B, avec ses dix étages, ses

77 appartements luxueux d’une à quatre chambres (tous achetés et dont plusieurs sont déjà habités), son jardin intérieur et ses espaces commerciaux au rez-de-chaussée (800 m2 en tout) ; et les blocs A, C, D et E, de six niveaux et de 15 à 18 appartements, dont l’occupation a commencé aussi. Cinq enseignes vont y jeter l’ancre, ou l’ont déjà fait : l’orthodontiste Smile Corner, la boutique-centre fitness chic Animo, un comptoir Wittamer, le fleuriste Moments Subtils et un salon de thé et café appelé Seven.

Vanessa Issi, directrice commerciale de AG Residential Real Estate, l’un des deux promoteurs immobiliers (l’autre étant Burco) et en charge du bloc B, évoque un « projet gigantesque, qui a suscité beaucoup de discussions parce qu’on changeait la destination d’un hôpital qui était aussi la plus grande maternité bruxelloise. Donc, un lieu où il y a eu des naissances, des guérisons, des événements très agréables mais aussi des douleurs, des souffrances et des décès… On a dû beaucoup travailler là-dessus, parce qu’il y avait des appréhensions, certains disant qu’il ne fallait pas toucher à ces murs, vu leur passé. Il y a eu une dépollution importante aussi, le bâtiment ayant abrité de la médecine nucléaire, des radios, des isotopes, etc. Bref, on a gardé l’ossature de l’hôpital et réaménagé tout l’intérieur. »

L’équipe de LA LASAGNERIA

(R)évolution douce

C’est tout le pari du projet : transformer un hôpital qui était devenu le sanctuaire du quartier en un centre de logements et de commerces censé rendre de l’allant à toute une zone pas si uniforme que ça. « Cavell est à la fois bourgeois et mixte, reprend Vanessa Issi. Avec d’un côté la rue Vanderkindere, qui est commerçante, et de l’autre les rues Marie Depage ou Edith Cavell, qui sont plutôt des logements avec quelques commerces plutôt

haut de gamme ; on est aussi en plein cœur de ville, c’est-à-dire avec tous les transports en commun, hormis le métro, et des écoles. Donc, en ajoutant cet îlot résidentiel d’ampleur – rien que pour le bloc B, entre 150 et 300 nouveaux habitants, francophones pour la plupart, autour de la cinquantaine et avec certains moyens –, on vient changer toute la physionomie du quartier et sa dynamique commerciale, en poussant davantage encore vers le haut de gamme. Mais tout ça sans le bousculer. »
Une (r)évolution en douceur, donc. À laquelle Pierre Pétré souscrit entièrement : « Nouvelles enseignes de qualité, mobilité douce, verdurisation et résidentiel aisé encouragés, tout en préservant la mixité du quartier. Ça va dans le bon sens ! »
On devrait pouvoir le vérifier rapidement.