Prends gar (d) e à toi… C’est en quelque sorte ce que fit le hameau de Calevoet en s’appropriant la gare inaugurée en septembre 1873 sur la ligne ferroviaire Bruxelles – Charleroi. En effet, bien que ce hameau se trouvât à quelque 1 500 mètres de la station, le rôle que celle-ci allait jouer dans le développement d’Uccle aboutit à un déplacement du toponyme, qui finit par être celui de la région située autour de la gare et de la barrière. En vérité, elle fut bâtie au lieudit Wolvenberg, à quelques pas du château de ce nom, la voie ferrée sectionnant la chaussée d’Alsemberg. Pourquoi Calevoet plutôt que Wolvenberg? Pour le prestige conféré par la légende voulant que Charlemagne soit à son origine? Mystère… Quoi qu’il en soit, il est d’usage aujourd’hui de distinguer le “Calevoet historique” du “Calevoet gare”, en désignant le premier comme étant le “Fond de Calevoet”.

L’apparition du chemin de fer fera naître un charmant “folklore” au carrefour des antiques Dieweg, chaussée d’Alsemberg et rue Engeland: d’abord un passage à niveau protégé par des barrières, peu après une passerelle métallique sur laquelle les enfants s’amuseront à se faire enfumer à l’arrivée d’une locomotive à vapeur et enfin, en 1926, un tram 9 rouge, couleur du chiffre, qui fera la navette entre le passage à niveau et le cimetière de Saint-Gilles situé avenue du Silence, sur une voie unique avec évitement au niveau de l’arrêt facultatif de la rue du Bourdon.

Adieu les tchouk-tchouks

Mais rien n’est éternel. En 1950, le lieu perdit de son âme lors de l’électrification de la ligne Bruxelles – Charleroi: le passage à niveau et la passerelle furent remplacés par un couloir souterrain bien moins pittoresque tandis que les tramways se virent déviés par les rues Engeland et du Château d’Or pour atteindre le champ de repos saint-gillois. Subsiste de ce charme suranné la maison du garde-barrière, qui accueille de nos jours une brasserie au nom hélas de circonstance en cet hiver 2021: L’Amère à Boire. Quant à la gare, c’est à peu près à la même époque que disparaîtront ses pignons à redents de style néo-Renaissance flamande, commun à de nombreuses stations ferroviaires de la ligne 124 (Forest-Est, Rhode Saint-Genèse, Waterloo, entre autres). Et quelque 65 ans plus tard, s’évanouira toute présence humaine derrière ses guichets.

Et la lumière fut…

Sur la vue comparée, l’enseigne du bâtiment à l’angle de la chaussée et du Dieweg – Brasserie des Carrières – témoignait d’une exploitation du sol à… un jet de pierre de ce carrefour. Ces carrières laisseront place, en 1920, aux établissements de matériel électrique Gardy (aujourd’hui Schneider Electric). Bien que probablement la plus importante (et assurément la dernière survivante), cette société ne sera pas la seule à être attirée par les avantages que procuraient la proximité d’un chemin de fer. D’autres verront le jour, essentiellement le long de la rue Egide Van Ophem, transformant peu à peu la nature résidentielle de ce quartier en une zone industrielle. Citons notamment les sociétés Hettema, Blaimont et Bayot, La Compagnie Auxiliaire des Mines, Frankel  ou encore les Encres Dresse. Cette dernière restant tristement dans les mémoires pour l’explosion dramatique qui fit plusieurs morts en novembre 1964.

Apparaît, à droite sur cette même vue, l’extrémité d’une des trois maisons qui seront elles aussi victimes du réaménagement en 1950 de ce nœud de communication ô combien fréquenté. Jusqu’alors, la rue Engeland passait derrière elles en dessinant une courbe pour s’abouter au Dieweg. Lors de la déviation de la ligne 9 mentionnée plus avant, l’amorce de la rue Engeland fut redressée au détriment de ces maisons, qui seront purement et simplement effacées du paysage. L’ancien tronçon incurvé existe toujours, qui passe devant l’entrée de Schneider Electric, mais il constitue de nos jours le point de départ du Dieweg.

Ces maisons (1006 a, 1008 & 1010 chaussée d’Alsemberg) abritaient des commerces qui participaient pour beaucoup à l’animation du quartier. Un café-épicerie, “Chez Jacquemyns”, prodiguait des confiseries en tous genres qui, soyons-en sûrs, faisaient le bonheur des dentistes des environs, et la “Charcuterie de la Barrière”, dont le propriétaire, nous dit Jacques Dubreucq, dut être littéralement arraché hors de ses murs. Préfiguration symbolique d’une décennie qui allait voir éclore les premiers supermarchés en libre-service, au grand dam des commerces de quartier…

Yves Barette