Même des moisissures peuvent créer une étonnante beauté en transformant de vieux négatifs en œuvres d’art. Aldo Soares s’en émerveille depuis 30 ans et nous aussi.

Aldo, c’est un des tout grands de la photo, de presse, de portrait et de paysage, il a trimballé sa chambre technique dans le monde entier et en a ramené des images argentiques d’une profondeur que le digital n’a pu approcher que récemment. Couvertures et reportages pour des magazines internationaux, missions patrimoniales comme l’archivage photo des côtes de France pour le Conservatoire du Littoral, son cv est impressionnant. Pendant des années, il a utilisé un des supports favoris des professionnels de la photo de mode et de pub, le Polaroïd noir et blanc PN 55. Les “pola”, les plus âgés ont bien connu ces images quasi-instantanées au format carré, qu’on développait en quelques secondes en les frottant et en les gardant au chaud à l’intérieur d’une veste, si on était en plein air. L’ancêtre chimique de l’image vidéo d’aujourd’hui, bien utile pour sélectionner une image parmi plusieurs propositions sans devoir attendre le laboratoire. La particularité des films PN 55, qui ne sont plus fabriqués depuis 2009, était d’offrir aux professionnels, outre l’image positive sur carton, un négatif duquel on pouvait tirer d’autres épreuves, agrandies. 

Le côté positif, c’est la beauté

Bien sûr, seuls les négatifs retenus étaient gardés, les autres finissaient à la poubelle… ou à côté. C’est ce qui est arrivé, il y a une bonne trentaine d’années, à un des négatifs d’une prise de vue d’Aldo Soares pour Libération: un essai pour un portrait de Pierre Yameogo. Comme le cliché était raté, il ne l’avait pas développé à fond, les éléments chimiques de la couche gélatineuse de sa surface n’avaient pas été éliminés. Tombé à terre dans une cave humide, le négatif a moisi dans le noir.

Le fantôme de l’image semblait vivre dans un halo brumeux avec des rouges, des bleus, c’était incroyablement beau.

Quand Aldo l’a ramassé, des semaines plus tard, il s’est trouvé face à un mutant d’une espèce mystérieuse: “C’était une cave parisienne, très chaude et humide. Des champignons avaient recouvert le négatif de longs poils, sa surface gélatineuse était devenue multicolore, le fantôme de l’image semblait vivre dans un halo brumeux avec des rouges, des bleus, c’était incroyablement beau. J’ai séché le négatif, j’en ai éliminé les champignons, je l’ai passé à l’agrandisseur, c’était vraiment spectaculaire en grand format.”

30 ans de cave et des grands crus

 Alors, le photographe ébloui par la beauté du hasard s’est pris au jeu. Il a élaboré pendant des années tout un projet expérimental, en laissant volontairement se dégrader des négatifs de Polaroïd dans des environnements différents. Ce projet, c’est Gelatinium, qui est devenu une étonnante collection d’œuvres d’art psychédéliques. Aldo a enterré des négatifs dans des plate-bandes. Il en a mis dans des boîtes de plastique au couvercle perforé de petits trous, pour que l’humidité d’une terre de jardin les travaille sans en abîmer la surface. Il a même squatté une cave chez sa belle-soeur, dans le Nord, pour y “cultiver” ses champignons esthétiques: “La garde en cave de briques rouges, au pays du Maroilles, ça donne des résultats vraiment intéressants”, sourit-il. Après maturation, Aldo sèche les négatifs pour en stopper la mutation au stade qu’il a choisi, puis il les scanne à très haute définition pour pouvoir les imprimer en grand format. A aucun moment, il n’intervient avec Photoshop ou un autre logiciel de traitement pour modifier le résultat. Gelatinium, c’est de la beauté purement organique, la revanche de la nature sur la chimie des hommes. Et un joli coup de pouce à l’art du photographe. S.P. 

Une des images de Gelatinium, le projet d'Aldo Soares
Les moisissures ont transformé ce négatif de Polaroïd en œuvre d’art psychédélique

www.gelatinium.com

www.aldosoares.com