Le « Charlu » à Uccle, fermé comme les autres…

Au travers des fenêtres, la lueur blafarde de l’éclairage public silhouette des chaises retournées sur les tables, derrière les vitres de décors figés dans une pénombre froide qui donne à penser que le chauffage n’a plus été allumé depuis longtemps, car il n’y a plus ici de vie à réchauffer. 

Esthétiquement parfaites, les images d’Arnaud Ghys sont surtout parlantes, elles en disent beaucoup plus que le plus bavard des micro-trottoirs. On imagine les exploitants de ces cafés, de ces restaurants sous cloche, venir un peu chaque jour, faire un tour d’inspection rapide, ouvrir une porte pour aérer, essayer de retrouver un semblant de raison en essuyant une couche de poussière impalpable sur verres et comptoir. « Ils crânent un peu, font bonne figure avec pudeur malgré tout. Mais c’est fou quand même qu’on dise à ces gens qu’ils doivent fermer, sans leur offrir une compensation suffisante », dit le photographe qui boucle une impressionnante série de ces clichés, tous réalisés à Bruxelles. « J’ai vu pleurer des gens, des habitués à  qui je montrais les images. »  Sa dernière photo, à Uccle, il l’a shootée pour le Wolvendael magazine au Charlu de la Chaussée de Saint-Job, dont le décor intact est celui d’un ancien bistrot de quartier; elle prendra probablement place dans le livre qu’il prépare et qu’il a décidé de titrer « Cafés latents ». « Latents, parce que tous ces endroits vides que j’ai photographiés le soir, à la seule lumière de l’éclairage public par les vitrines, sont des symboles de convivialité, de vrais lieux de vie dont les patrons n’attendent qu’une chose: que la vie latente puisse y revenir… »

« La différence était frappante avec l’endroit que je connaissais, débordant de chaleur humaine… »

Arnaud Ghys a eu cette belle idée en passant un soir devant l’Athénée, un café d’Ixelles dont toutes les lumières étaient éteintes. Seul un lampadaire, de l’extérieur, jetait une lumière jaune, crue, sur la tristesse du bistrot mis entre parenthèses. « La différence était si frappante avec l’endroit que je connaissais, débordant de chaleur humaine, que je me suis dit qu’il y avait un sujet qui allait plus loin qu’un simple cliché. » Effectivement, la série qu’il en a tiré a des allures de reportage sociologique et ce n’est pas un hasard, puisque Arnaud est sociologue de formation avant d’être photographe. Il y a dix ans, il a switché pour la photo, avec une nette préférence pour la photo dite sociale: « L’aspect humain, celui que privilégiaient les Doisneau, Cartier-Bresson, m’attire bien plus que les autres spécialités. Et puis être photographe, c’est une carte de visite qui permet au sociologue d’entrer partout, au Palais comme au CPAS… » Jusqu’ici, il avait braqué ses objectifs sur des microcosmes tels qu’un festival de musique, une blanchisserie, des jazzmen avec « Portraits in Jazz », un beau livre au format… 33 tours publié chez ARP Editions. Ici, il montre l’aspect humain d’une vraie crise par l’absurde, l’absence totale d’élément humain dans ses photos. C’est une première et c’est une réussite.

Stève Polus

www.arnaudghys.be

Le marasme et la grogne qui monte…

Une de leurs manifestations sur la place de Saint-Job

Depuis le temps que dure la crise du Covid, plus personne ne se hasarderait à des jeux mots foireux tels  “L’Horeca boit la tasse” ou “Les restos ne sont pas sortis de l’auberge”, tant l’angoisse du secteur est devenue presque physique. Et sa grogne, virulente comme celle de tous les “non-essentiels”, l’étiquette fourre-tout qui passe aussi de plus en plus mal dans la Culture, les spectacles, l’événementiel…

Ces dernières semaines, les perspectives les plus pessimistes de faillites en cascade et de misère sociale semblaient inévitables malgré les nouveaux ballons d’oxygène octroyés, encore insuffisants, et la créativité des exploitants. Condamnés à une fermeture qui leur paraît terriblement injuste face à la nécessaire promiscuité des transports en commun, ceux d’entre eux qui le pouvaient se sont provisoirement reconvertis en traiteurs. Mais comme ils le disent, le take-away ou la livraison de repas, “ça couvre à peine les frais courants, sans même payer le loyer et les autres charges”. Quant aux cafetiers, préparer des lunch-box pour leurs fidèles habitués ne saurait non plus suffire à faire bouillir la marmite. D’ailleurs, avant la pandémie, beaucoup d’entre eux vivotaient déjà à la limite de la survie financière, ils ont plongé dans le rouge et risquent d’y rester. Sur la plateforme Growfunding.be, une campagne de soutien participatif a été lancée pour permettre à des cafés populaires, ces lieux de vie si importants, de garder la tête hors de l’eau. La campagne, qui a déjà rapporté quelques milliers d’euros aux cafés inscrits, a été baptisée Zuur: aigre, acide, en Bruxellois flamand. Pas parce que les exploitants “ont le sûr” et que la fermeture leur reste sur l’estomac: en référence au goût de la gueuze… S.P. 

www.growfunding.be/zuur