PHILANTHROPIE
PHILIPPE BERKENBAUM
Uccle abrite plusieurs associations et fondations actives dans le soutien aux victimes du cancer ainsi qu’à la recherche dans le domaine de l’oncologie. Parmi elles, la fondation Fournier- Majoie est peu connue, mais accompagne des projets d’envergure. Parce que personne n’est à l’abri de ce fléau trop souvent intraitable.
Ses bureaux discrets s’étalent au rez d’imposants immeubles résidentiels posés dans un écrin de verdure avenue De Fré, face aux Cliniques de l’Europe. Le seul bruit intempestif qui trouble ponctuellement la quiétude des lieux est celui des ambulances qui vont et viennent, sirène hurlante. De quoi rappeler s’il en avait besoin – mais ce n’est évidemment pas le cas… – à quel point la mission que s’est fixée Jérôme Majoie est cruciale, puisqu’elle vise à sauver des vies. Celles des victimes du cancer.
Citoyen d’Uccle, Jérôme Majoie dirige la Fondation Fournier-Majoie pour l’Innovation (FFMI), dont l’objectif est d’apporter des moyens et compétences aux chercheurs aspirants entrepreneurs en médecine oncologique, notamment dans le domaine du diagnostic. Adossée à la Fondation Roi Baudouin, elle a été créée en 2007 par son père, Bernard, qui en est toujours le président d’honneur. Né en Belgique, Bernard Majoie a mené une brillante carrière en France jusqu’à diriger le groupe pharmaceutique familial Fournier, où il était entré comme chercheur avant d’y créer le premier laboratoire R&D et qui est devenu sous sa houlette le quatrième laboratoire indépendant de l’Hexagone. Vendu à Solvay en 2006 (pour la coquette somme de 1,3 milliard d’euros, selon les médias de l’époque) qui le cédera trois ans plus tard au géant Abbott, Fournier a aujourd’hui disparu. C’est en hommage à ses équipes dévouées que le Dr Majoie a décidé d’investir 20 millions dans une fondation dédiée à ce qu’on appelle la Venture Philanthropie, pour aider les chercheurs à transformer leur découverte en traitement reproductible à grande échelle.
VALLÉE DE LA MORT
« Cette maladie reste un fléau, un trop grand nombre de cancers sont toujours intraitables ou mal traités, celui du foie, du pancréas, du colon et bien d’autres, avec un taux de mortalité trop important », martèle Jérôme Majoie. Qui ajoute : « On estime que d’ici 2025, une personne sur trois sera atteinte d’un cancer dans le monde. En Belgique, c’est une femme sur quatre et un homme sur trois. » Dans notre pays, 40 % des diagnostics concernent le cancer de la peau, le plus fréquent. Il est suivi du cancer du sein (10 %), du cancer de la prostate (9 %), de ceux du poumon (8 %) et du colon (7 %).
Plutôt que de se limiter au soutien à la recherche pour certains types de cancers particuliers, comme le font beaucoup d’autres (par exemple le cancer du sein, comme on le lira par ailleurs), l’action philanthropique de la FFMI cible tous les types de cancer, c’est l’une de ses spécificités. Depuis sa création, elle a soutenu dix-huit projets dont
sept sont encore actifs. Ils sont belges à 99 %, même si le rayon d’action de la fondation s’étend aux pays voisins. Un premier projet français vient d’ailleurs d’être approuvé, dans le domaine de la production d’anticorps monoclonaux.
« Nous intervenons dans ce moment intermédiaire qu’on appelle la ‹ vallée de la mort ›, où l’innovation existe, sanctionnée par exemple par le dépôt d’un brevet, mais où elle est encore trop embryonnaire pour convaincre des investisseurs de financer son développement. Sachant que celui-ci peut prendre des années sans garantie de résultat », précise Jérôme Majoie. Concrètement, il s’agit de « dérisquer » le projet avant de pouvoir franchir l’étape de développement commercial avec l’aide d’autres investisseurs. « Nous n’apportons pas seulement un soutien financier mais aussi du temps, des compétences, de la mise en réseau pour permettre au projet d’aboutir dans les meilleures conditions. »
TOUT EST RÉINVESTI
L’argent investi par son fondateur permet de financer la gestion de la fondation, qui emploie quatre personnes à Uccle. Quant aux fonds investis dans les projets (jusqu’à un millions par projet), ils proviennent de dons… et du retour sur investissements de ceux qui aboutissent, après de longues années de travaux. « Tout est réinvesti à 100 % dans les projets, rien n’est utilisé pour nos frais de fonctionnement qui sont couverts par ailleurs, c’est l’une de nos spécificités », assure son directeur, chiffres à l’appui. « Nous croyons fermement que le traitement du cancer passera par une médecine de plus en plus personnalisée »
L’autre spécificité est le scope assez visionnaire de son action. « Nous croyons fermement que le traitement du cancer passera par une médecine de plus en plus personnalisée, poursuit Jérôme Majoie. À chaque patient, à chaque cancer correspond un traitement spécifique. C’est la raison pour laquelle nous concentrons nos efforts dans le domaine du diagnostic, de l’imagerie médicale, de l’intelligence artificielle qui permettra d’identifier les tumeurs avec une précision plus fine. »
Citons l’exemple de la jeune biotech jettoise du professeur Tony Lahoutte, soutenue par la FFMI à hauteur d’un demi-million d’euros. Son projet-phare est un produit
de radiothérapie ciblée basé sur des anticorps de lama, amenant dans la tumeur un élément radioactif qui s’accroche aux cellules cancéreuses pour les détruire par irradiation sans dégâts collatéraux. Un essai clinique de phase 2 (à grande échelle) vient de démarrer sur des patients humains à Montréal.
Les dons de minimum 40 euros bénéficient d’un avantage fiscal de 45 %. Découvrez les projets soutenus par la fondation sur www.fournier-majoie.org
En autres organisations qui aident la recherche et les victimes du cancer, on peut également citer (et soutenir) :
KICKCANCER
La Fondation KickCancer fondée
par Delphine Heenen et dédiée à la lutte contre le cancer chez l’enfant https://kickcancer.org
VIVRE COMME AVANT
L’asbl Vivre Comme Avant, qui regroupe d’anciennes victimes d’un cancer du sein qui consacrent leur temps à l’écoute et au soutien d’autres malades www.vivrecommeavant.be
BIG
AGAINST BREAST CANCER L’organisation internationale BIG against breast cancer qui finance des projets de recherche dédiés au traitement du cancer du sein
www.BIGagainstbreastcancer.org
TÉMOIGNAGE
« LE CORPS PEUT REPRENDRE LE DESSUS ! »
Mathilde Jooris incarne tout à la fois un mélange de force tranquille, de solidarité opiniâtre et d’abnégation courageuse. Cette quadra uccloise a fait parler d’elle
sur les réseaux cet été, alors qu’elle affrontait les éléments et la solitude sur l’un des chemins de Compostelle. Pas le plus court ni le plus facile : celui qui rallie la Méditerranée (depuis Montpellier) à l’Atlantique (du côté de Hendaye), 800 km de reliefs accidentés
sur les contreforts des Pyrénées. Mathilde les a parcourus en trois petites semaines, au rythme quasi effréné d’une quarantaine de kilomètres par jour.
Un marathon quotidien qui lui a coûté une solide inflammation dans la dernière ligne droite, qu’elle n’aurait jamais pu surmonter, dit-elle, sans le large soutien témoigné par réseaux et smartphones interposés. Ni l’énergie procurée par ceux à qui elle dédiait chaque journée de marche, des malades confrontés à une épreuve autrement plus difficile à surmonter : le cancer.
« J’ai moi-même été frappée par un cancer du sein il y a huit ans », évoque-t-elle.« Les opérations successives et les reconstructions m’ont occupée pendant plusieurs années. » Les rencontres aussi, celles d’autres victimes de la maladie et d’associations dédiées au soutien des malades ou de la recherche. « J’ai fini par réorienter ma carrière en rejoignant l’une d’entre elles. Peut-être pour donner du sens à ce qui m’était arrivé et contribuer, par mon activité professionnelle, à apporter une solution, une amélioration à cet environnement si difficile à vivre.»
Après cinq ans passés auprès de BIG Against Breast Cancer, qui soutient la recherche contre le cancer du sein, Mathilde a rejoint cette année la Fondation Fournier-Majoie où elle s’occupe notamment du fund raising.
LE CHEMIN… DE LA RÉSILIENCE
Il y a cinq ans, au terme des premières étapes de son long parcours médical, Mathilde Jooris a enfilé son sac à dos pour accomplir un rêve d’adolescente : parcourir une étape du chemin de Compostelle. « J’avais quinze jours devant moi, je devais récupérer et remettre mon corps en route, sortir de cet engrenage et tourner la page, j’ai senti que c’était une bonne option. Puis j’y ai pris goût. » Son parcours d’août dernier était le huitième du genre. « Après dix-huit mois de covid, j’avais envie de repartir mais en joignant cette fois l’utile à l’agréable, en mettant ce challenge en avant pour récolter des fonds au profit de la fondation. »
Ce fut un vrai chemin… de croix, plus long et difficile que les précédents mais surtout plus solitaire, la crise sanitaire n’ayant pas incité beaucoup de marcheurs à chausser leurs bottines et encore moins de commerces ni d’auberges à leur ouvrir la porte.
« J’étais portée par les nombreuses personnes qui me suivaient, celles qui m’ont fait un don (NDLR : près de 7 000 euros récoltés au total) et l’envie de diffuser un message d’espoir. Il y a des moments où l’on sent son corps totalement en déroute, où l’on n’a plus de force, où l’on pense ne jamais y arriver. Mais je voulais prouver qu’on peut y arriver. Que le corps peut reprendre le dessus. Même s’il faut quand même l’écouter de temps en temps… »