LES LIBANAIS D’UCCLE
Les Libanais installés à Uccle s’y sentent bien. Ils ne constituent pas une communauté, entre eux, vivant plutôt chacun de leur côté. Mais tous gardent un œil sur la situation, économiquement catastrophique, de leur pays natal et l’espoir de lendemains meilleurs. Mais le phénix renaît toujours de ses cendres.
S’il y a des Libanais résidant à Uccle, il n’y a pas de communauté libanaise à proprement parler, même au niveau national. « Si l’on devait constituer un comité pour se réunir, compte tenu des sensibilités différentes, ici comme au pays, ce serait difficile de ne pas retrouver cette division. Plusieurs tentatives ont été faites par le passé, mais elles n’ont pas abouti parce qu’il y a trop de dissensions. On essaie donc vraiment de ne pas reproduire les problèmes qu’il y a là-bas, explique Sami Alouf, graphiste ucclois depuis 1964 et président d’un comité du Rotary, le CIP BeLux-Liban, qui organise des activités en faveur d’associations locales avec des actions bien précises. « D’ailleurs on ne se réunit pas. On n’en a pas besoin : on est bien accueillis ici, on est bien intégrés, il n’y a pas de nécessité de se retrouver entre nous. Par contre, on a des activités pour aider le pays. » Quelque 500 médecins se réunissent ainsi, par exemple, annuellement au sein de la Société Médicale Euro Libanaise (la SMEL) pour organiser des actions et récolter des fonds pour les sinistrés du Liban.
« ÉCHANGEONS LES ARTISTES »
Amal Kharrat, artiste plasticienne, estime qu’en tant que femme c’est un grand privilège de vivre en Belgique : elle peut évoluer dans une société où elle a vraiment sa place. « Les femmes ont toujours été un moteur, malgré toutes les difficultés. Au Liban, elles éduquent les enfants et sont responsables d’organisations et d’institutions. Si on leur en laissait la possibilité, elles apporteraient des changements et seraient les meilleures influenceuses. » Le rêve d’Amal pour son pays ? « Créer des synergies entre Uccle et des communeslibanaises autour de l’échange d’artistes via des associations citoyennes. Il faudrait amener le Liban vers la laïcité pour en finir avec le système multiconfessionnel qui régit actuellement la vie politique. » Amal apprécie les espaces verts ucclois, le calme et la proximité du centre-ville, l’école d’art et de musique et le Centre culturel d’Uccle, qu’elle fréquente régulièrement quand elle ne va pas voir un spectacle à Project(ion) Room ou une expo aux galeries d’art Rivoli. Elle passe aussi volontiers chez les librairies Bleus d’encre et Filigranes Corner, achète ses fleurs chez Heliantus, « véritable pays des merveilles », chine chez les antiquaires chaussée de Waterloo et achète bio au Dépanneur-épicerie ou chez Barn.
« Les femmes ont toujours été un moteur, malgré toutes les difficultés. Au Liban, elles éduquent les enfants et sont responsables d’organisations et d’institutions.»
LES LIBANAIS DE BELGIQUE
Dans ce tout petit pays (10 540 km2, soit un tiers de la Belgique), on retrouve pratiquement toutes les religions du monde. Elles cohabitaient relativement bien jusqu’à la guerre civile, les débâcles et l’installation de la corruption à presque tous
les niveaux de pouvoir. On compte autour de 15 000 ressortissants libanais en Belgique, dont plus de 65 % sont binationaux ou détenteurs d’une carte de séjour, dont près de 1000 étudiants venus étudier en Belgique (ils étaient 700 l’an passé).
« La communauté estudiantine libanaise se trouve dans l’incapacité de financer ses études et même son logement, résume Malek Mansour, chargé des Affaires consulaires de l’ambassade. Les aider à trouver des jobs d’étudiant ou diminuer les loyers serait un geste précieux. »
Plus de 70 % des dossiers des Libanais à l’ambassade concernent des familles. Depuis la crise économique, terrible, de 2018, l’ambassade note un affluxde Libanais dont la plupart avaient déjà la nationalité belge ou une famille installée ici, parmis lesquels un nombre considérable de médecins, d’infirmiers et d’autres spécialistes dans le domaine médical : plus de cent médecins sont ainsi venus s’installer à Bruxelles ces douze derniers mois, renforçant l’un des trois principaux groupes professionnels des Libanais installés en Belgique (les diamantaires et les concessionnaires de voitures d’occasion constituent les deux autres). Les commerces libanais se regroupent surtout à Anderlecht (chaussée de Mons), à Anvers, Braine-l’Alleud et Charleroi.
« Le joyau du Liban, ce sont les Libanais, tout simplement.»
« ICI, LA VIE EST CALME ET CHACUN SE RESPECTE »
Nasser, lui, est arrivé en Belgique à 17 ans avec un visa d’un an et un œil en moins, perdu à la guerre en 1978. Alors sans papiers, il travaille comme cuisinier à l’ambassade puis monte sa société, obtient ses papiers, s’installe à Uccle et de fil en aiguille ouvre son propre restaurant, les Sources du Liban, au Fort-Jaco. « Ici, la vie est calme, chacun se respecte, plus que dans d’autres endroits », affirme-t-il. Nasser est musulman, mais la seule foi qui compte pour lui c’est celle qu’il place en l’Homme. « J’aime les gens, quels qu’ils soient. Nous, on ne parle jamais de travail, même avec les vieux amis puisqu’on n’a pas besoin de leurs services. » Une solidarité typiquement libanaise ? « La solidarité est sans frontières », répond Nasser, qui vient justement de dépanner la machine à couper le jambon de son voisin, traiteur italien.chaussée d’Alsemberg, L’Empreinte Beauty Loft. « Le service administratif de la commune est parfait, dit-il. On retourne tous les deux ans au Liban, mais notre vie est ici. Nous allons souvent dans un petit italien à côté de la maison, très sympa, ou au Pain Quotidien de la Place Saint-Pierre. Certains Libanais se réunissent à la paroisse de l’église à la messe du dimanche, à Watermael- Boitsfort, mais j’avoue que je n’y vais pas trop souvent. »
«NOTRE VIE EST ICI »
Médecin biologiste au Chirec – dont le directeur général médical, Philippe El Haddad, est aussi Libanais –, Assaf Harb habite Uccle depuis 1990. Son épouse gère un salon de beauté chaussée d’Alsemberg, L’Empreinte Beauty Loft. « Le service administratif de la commune est parfait, dit-il. On retourne tous les deux ans au Liban, mais notre vie est ici. Nous allons souvent dans un petit italien à côté de la maison, très sympa, ou au Pain Quotidien de la Place Saint-Pierre. Certains Libanais se réunissent à la paroisse de l’église à la messe du dimanche, à Watermael- Boitsfort, mais j’avoue que je n’y vais pas trop souvent. »
La situation au pays natal ? Pour le médecin, l’idéal serait que le Hezbollah, le parti chiite tout-puissant, y dépose les armes et réintègre l’armée. Mais « c’est dans les rêves ; dans la pratique, il faudrait une intervention étrangère que ce soit les Nations Unies ou la France, mais pas orientale – il faut une tutelle de gens civilisés.
« L’OUVERTURE D’ESPRIT, LA JOIE DE VIVRE, LA GÉNÉROSITÉ ET LA RÉSILIENCE »
Dans les années 1960-70, le Liban était la Suisse de l’Orient, figurant parmi les dix premières puissances économiques mondiales. Beyrouth était alors la plaque tournante entre le Proche-Orient et entre l’Occident. « Et voilà où nous en sommes maintenant, à cause de mauvaises influences étrangères telles que celles de l’Iran ou de la Syrie, ajoute Assaf. Avant les prochaines élections, à l’été 2022, rien ne changera, selon moi. Mais je reste optimiste : nos ancêtres étaient phéniciens et le Phénix renaît toujours de ses cendres. Ce n’est pas la première crise que nous traversons et nous nous sommes toujours relevés. »
Pas forcément rassemblés en communauté, les Libanais de Belgique sont effectivement unis dans l’espoir, convaincus qu’ils sont que l’atout du Liban, c’est le peuple libanais.
« Quand il est libre de sa pensée, de ses mouvements et de ses choix, assène Assaf. Car pour le Libanais, la priorité c’est l’éducation et les études ! Aux côtés de l’hospitalité, du sens des affaires et du développement. » Et Amal renchérit : « Le joyau
du Liban, ce sont les Libanais, tout simplement. Leur ouverture d’esprit, leur joie de vivre, leur générosité, leur capacité à s’adapter. Et leur résilience. »