BALADE GUIDÉE
Quand le temps suspend son vol sur un quartier, il fige une époque. Ses maisons racontent alors un style de vie autant que les désirs des architectes. Le square Coghen reste le témoin d’une période qui, quoique voulant gommer le faste, donne place à la beauté. On peut l’admirer avec l’ASBL Arkadia, qui y organise des visites guidées.
Flanqué entre la résidentielle avenue Coghen et la commerciale chaussée d’Alsemberg, le square Coghen est un exemple unique de lotissement moderniste, typique de l’entre-deux- guerres réunissant architecture cubique et Art Déco. Si de petites fantaisies ont été rajoutées au fil du temps, l’ensemble est bien préservé et reste homogène. Certes rafraîchies, toutes les maisons conservent leur fière allure des années 30, rien n’a été démoli, aucun immeuble n’y a été érigé.
Il n’est donc pas rare de voir des petits groupes suivre un guide et déambuler sur les pavés le nez en l’air. « Si je dois proposer une visite permettant de découvrir de beaux ensembles de l’entre-deux guerres, j’emmène les gens vers le square Coghen, réputé pour son architecture originale, puis l’avenue Coghen et la rue de l’Echevinage. Sur quelques centaines de mètres, l’on trouve vraiment des chefs-d’œuvre et quelques maisons remarquables. Il y a moyen de faire trois ou quatre circuits différents dans le quartier tellement le patrimoine y est riche, explique Cécile Dubois, la guide d’Arkadia, l’ASBL spécialiste du patrimoine belge et bruxellois. A la base, on pourrait penser à une cité-jardin, mais cela n’a jamais rien eu de social. C’est au contraire un coin bourgeois avec une circulation paisible. »
Au départ pourtant, ces terrains individuels, situés sur un domaine de 4,6 hectares appartenant au comte Coghen, ne présentaient pas vraiment d’intérêt : pentus, sablonneux et marécageux, et de surcroît traversés par plusieurs sources et une servitude de passage.
Début des années 30, un promoteur privé, le baron de Limander de Nieuwenhove apparenté à la famille Coghen, s’entoure de grands noms de l’architecture pour urbaniser l’ensemble. Ce que Louis-Herman De Koninck, Pierre Verbruggen – le plus prolifique – , Raphaël Delville, Josse Franssen ou encore Louis Tenaerts réussissent de main de maître. Au passage, le comte se fait construire sa propre maison sur les hauteurs du square.
Le chantier s’échelonne sur dix ans en trois phases très rapprochées. La première, avant 1931, implémente les maisons sur le pourtour du square. Le projet de départ prévoyait en effet une place centrale plantée d’arbres. Mais, au fur et à mesure des phases successives de lotissement, en 1932 puis 1935, les constructions se densifient et le centre du square est lui aussi bâti.
On construit des blocs de cinq habitations sans cave, ce qui est plutôt rare à l’époque pour des maisons de standing. « La maison de Louis Tenaerts est assez typique, car il y a installé une chambre de bonne, ce qui est exceptionnel dans ses constructions. Cela prouve que le square visait une clientèle d’un certain standing. Notons que l’on reste dans la continuité de l’avenue Coghen et de son côté petit bourgeois », rajoute Cécile Dubois, grande fan de l’architecture de Tenaerts. Il y a bien quelques maisons art déco sur le square, mais dans les années 30 la tendance se fait plus épurée et le modernisme, plus sobre, prend le dessus.
Dans le bas du square, vers l’avenue du Doyenné, l’on peut admirer une enfilade de maisons typiquement modernistes conçues par Louis-Herman De Koninck. L’ensemble fut construit pour l’industriel Philippe d’Outremont, qui s’était fait bâtir quelques années auparavant une maison de maître avenue de l’Echevinage et qui, en 1935, désire rentabiliser un terrain qu’il possède au square. Il confie alors à son architecte le soin de construire un ensemble de maisons de rapport qui sont aujourd’hui des maisons individuelles. Le projet prévoyait de construire des maisons à l’identique de l’autre côté aussi. Hélas, elles ne virent jamais le jour et à la place se sont implanté des garages, peu harmonieux.
« Ce quartier est vraiment exceptionnel, reprend Cécile Dubois. Le square du Castel Fleuri à Watermael Boitsfort est aussi de style moderniste, mais je le trouve moins audacieux que le square Coghen. » Raoul de Limander affichait d’ailleurs dans un petit rapport sa fierté d’avoir réussi à mener à bien ce projet pendant la crise économique des années 30, période difficile pour la construction. Il se targuait aussi d’avoir réussi à attirer là une « clientèle bien vue dans la société ». Quelques années plus tard, le dessinateur de bédé Bob de Moor et le designer Charles Kaisin lui donnent encore raison.
Souvent associées à la visite du Musée Van Buren, les visites se font à pied et durent environ 1 heure 30. Visites guidées individuelles à la demande :
Le Service Culture organise également, en partenariat avec « Rendez-vous culturels in Belgium », des visites guidées thématiques de différents quartiers d’Uccle.
Programme complet sur www.uccle.be
Le style moderniste
Si l’art déco s’adresse à une bourgeoisie en quête de représentation et recourt à une ornementation abondante, avec marbres luxueux, ornements de fer forgé martelé, bas-reliefs, frises et moulures dorées – voire même quelques colonnes et pilastres –, le modernisme rejette toute ornementation et privilégie la fonction.
A l’époque, certains architectes vont jusqu’à nier le concept même de style. Quoiqu’il se caractérise par ses formes lisses, privilégie les longues lignes horizontales et les surfaces verticales courbes.
Le modernisme décolle en Belgique vers 1919, avec les cités-jardins, telles que la Cité Moderne et la Cité du Kapelleveld. Vers 1923, on voit apparaître une série d’églises modernistes, dont Saint-Augustin de Forest.