Patrick Ameeuw, président du Cercle d’histoire, d’archéologie et de folklore d’Uccle et environs, raconte l’histoire et l’évolution du quartier Saint-Job, anciennement rural, puis ouvrier, enfin de classe moyenne.

Les lieux portaient jadis le nom de Carloo (cité dès 1209), dont la signification (« bois dénudé ») renvoie à une clairière dans la forêt. Le site, traversé par un cours d’eau (le Geleytsbeek), est devenu le centre d’une seigneurie dont les tenants possédaient un château à proximité de l’actuelle place de Saint-Job. Plusieurs manoirs s’y sont succédé, d’une certaine ampleur, mais à l’allure de châteaux-fermes.
À la fin du XVIIIe siècle, le dernier seigneur de Carloo, Jean – Joseph-Philippe van der Noor, comte de Duras, remplaça la bâtisse jugée trop rustique par un prestigieux édifice classique, « à la française ». Le monument, qui aurait pu être le plus emblématique de notre commune, n’a pas duré plus de vingt ans : il fut détruit en 1790 lors de la Révolution brabançonne, qui précéda l’arrivée des Français.

Que reste-t-il de ce château, longtemps totalement oublié ? Rien, sinon la forme de la place de Saint-Job qui occupe exactement la moitié sud du dernier site castral. Les révolutionnaires français, qui s’installèrent en Belgique en 1794, n’ont donc pas détruit le château, mais ont supprimé la seigneurie dont le territoire fut intégré à celui de la commune d’Uccle, nouvellement créée. L’Ancien Régime avait vécu.

DE PETITE CHAPELLE À GRANDE ÉGLISE

Au cours du XIXè siècle, pour désigner l’endroit, le nomde Carloo fit place à celui de Saint-Job, du nom du personnage biblique auquel était dédiée, dès la fin du XVe, la petite chapelle attenante aux châteaux. Au XVIIIe, la communauté locale avait tenté de se détacher de l’église Saint-Pierre d’Uccle pour constituer une paroisse indépendante, mais sans obtenir l’accord des autorités ecclésiastiques.

Il fallut attendre 1836 pour voir la construction d’une église qui deviendrait paroissiale l’année suivante. Remplaçant l’antique chapelle, elle se trouvait au débouché de la chaussée de Saint-Job sur la place même. Mais, la population ne cessant d’augmenter, elle fut démolie et remplacée (en 1913) par l’actuelle église, beaucoup plus imposante, qui se dresse à l’angle opposé de la place.

Le XIXe siècle vit aussi la transformation du hameau rural en un quartier populaire. La majorité de ses habitants travaillait dans le bâtiment (maçons, plafonneurs …) au centre de Bruxelles alors en plein développement. On rapporte aussi qu’une partie des « Saint-Jobois » venaient des Marolles d’où ils auraient été expulsés à la suite de la construction du Palais de Justice, mais cela reste à vérifier.

Rue de la Montagne Saint-Job (c) Cilou de Bruyn

CHASSEURS DE HANNETONS… ET DE BIÈRES

LES TRACES DU PASSÉ

La population était pauvre, très pauvre même ; elle menait une existence de « villageois » qui compensaient leur dénuement par une grande proximité sociale. Les habitants, qui s’exprimaient généralement dans le dialecte ucclois de Saint-Job (variante du néerlandais brabançon) se connaissaient d’abord par leur sobriquet : Ainke Gazet, Pikke Plesier, etc. Ils se déplaçaient peu et nourrissaient une vie locale forte. Il y avait les cafés, toujours nombreux, associés souvent aux activités colombophiles, et les fêtes, religieuses d’abord, auxquelles se sont greffés des événements, comme la foire agricole qui, créée en 1887, anime toujours le quartier au mois de septembre.

Jusqu’en 1914, on y rencontrait aussi les chasseurs de « prinkères » (hannetons, en dialecte local) qui investissaient les lieux au mois de mai. Venus de Bruxelles et de ses faubourgs, en uniformes vaguement militaires, ils rejoignaient Saint-Job en quête de hannetons, très nombreux à l’époque. En réalité, ils prenaient livraison des insectes que leur apportaient les gamins du quartier et chassaient plutôt gueuzes, krieks et faros dans les estaminets du coin… La tradition s’est perdue après le premier conflit mondial et, malgré quelques tentatives, ne s’est plus réimplantée. Mais depuis quelques années, une fanfare uccloise, animée par André Vital, reprend – sous le même nom de « chasseurs de prinkères » – le flambeau du folklore local.

Celui-ci avait longtemps été défendu par l’association des « Bergspelers » (allusion à la Montagne de Saint-Job, cœur du quartier), qui œuvra de 1956 à 2009. Leurs membres menaient des actions philanthropiques tout en maintenant les traditions folkloriques : brocantes, kermesses aux moules, sorties de « géants » locaux … Ils ravivaient aussi
le particularisme saint-jobois qui faisait dire à certains des leurs qu’ils partaient « à Uccle » quand ils se rendaient dans le centre de la commune.

La fin de la « société », due à un manque de bénévoles, est symptomatique de l’évolution du quartier dont les habitants, ouvriers et sédentaires, furent progressivement remplacés par une classe moyenne, plus individualiste et tournée vers l’extérieur. Néanmoins, la vie y reste animée. Restaurants et commerces n’y manquent pas et la place s’ouvre toujours à de nombreuses festivités, traditionnelles ou d’initiative plus récente.

L’endroit a conservé le caractère de son passé ouvrier, avec ses maisons, souvent petites, à l’architecture dépouillée et son urbanisme aux contours anarchiques. La Montagne de Saint-Job ainsi qu’une partie du chemin Avijl et de la Vieille rue du Moulin, agrémentées d’impasses et de venelles, en abritent les meilleurs témoins.