Affiches, toutes-boîtes, appels à candidatures ou inscriptions via les réseaux sociaux… Depuis trois ans, la commune multiplie les invitations aux citoyen(ne)s à s’impliquer dans des projets qui, jusque-là, n’étaient gérés que par les pouvoirs publics. Avec quels résultats ? Et quelles perspectives ?
L’actuelle majorité uccloise, constituée après les élections d’octobre 2018, l’avait annoncé : elle s’appuierait sur « la participation citoyenne ». Elle en a même fait une compétence échevinale, une première dans l’histoire de la commune. Depuis, elle y recourt massivement, en organisant des ateliers, des rencontres, des consultations où élu(e)s et administré(e)s échangent, débattent, coconstruisent. Et en incitant, par différents biais, les Ucclois(e)s à proposer des activités, des aménagements, des infrastructures même, pour un espace public où chacun(e) devrait trouver sa place, en respectant celle des autres.
Perrine Ledan est la première échevine en charge de cette participation citoyenne, à Uccle. Trois ans après son intronisation, elle reste convaincue qu’« on ne peut plus se contenter de prendre des décisions sans consulter, dialoguer et tenter d’impliquer les citoyens. On doit s’adjoindre leur expertise, prendre en compte leur voix. Et de façon totalement transversale : tous les services doivent se l’approprier, en comprendre l’importance lorsqu’on lance un projet. Et on y arrive, progressivement. Cette participation permet souvent de confirmer que notre déclaration de politique générale va dans le bon sens, et nous interdit d’être négligents sur tel ou tel aspect. L’attente est tellement forte. »
« Les séances d’information, les réponses aux questions, les clarifications d’un projet, c’est le socle minimal. Le processus de cocréation, c’est le plus abouti, le plus intense. »
Pourquoi ne pas se limiter à soumettre des propositions aux uns et aux autres ? « Parce qu’il y a une connaissance sur le terrain extrême utile, argumentent tant Perrine Ledan que Thibaud Wyngaard, échevin en charge des Travaux publics, de la Mobilité, du Stationnement et des Sports. Les citoyen(ne)s ont des idées auxquelles nous, collège et services communaux, peuvent ne pas avoir pensé. » Donc ça rallonge le processus… « Pas nécessairement. Un projet que vous voulez imposer sans avoir pris le pouls, sans avoir écouter les attentes, va susciter beaucoup de résistance, d’opposition, d’incompréhension, de recours… Au final vous allez perdre plus de temps qu’autre chose. En revanche, avec les citoyens, on est censé aboutir à un projet qui suscite l’adhésion la plus large possible. Même si on a n’a jamais, surtout en matière de mobilité et d’espace public, l’unanimité. »
Le procédé est nouveau, « donc au stade expérimental, insiste Christophe Gouache, de l’agence Strategic Design Scenarios, qui œuvre depuis plus de dix ans en Europe, et sous cette mandature dans différents projets ucclois, pour expertiser, réaliser ou accompagner l’aménagement de l’espace public. Il n’y a donc pas encore de méthodologies définitives pour ces processus qui ne sont dans l’ADN ni des autorités publiques, sorties de leur zone de confort, ni des citoyens, peu habitués à participer aussi concrètement ». D’autant qu’il y a « une gradation dans les différents dispositifs, complètent les deux échevins. Les séances d’information, les réponses aux questions, les clarifications d’un projet, c’est le socle minimal. Le processus de cocréation, c’est le plus abouti, le plus intense. C’est la participation citoyenne avec le plus d’apports ».
Passage en revue des formes et moments de participation citoyenne, en cours, à venir ou déjà survenus ces trois dernières années à Uccle.
Les rencontres citoyennes. Où les citoyen(ne)s évoquent aux échevins leurs attentes, leurs besoins, plutôt au niveau de leur quartier. « Depuis le début de la mandature, on en a organisé neuf, détaille Perrine Ledan, dans neuf quartiers différents. Plus de 600 habitants y ont participé. Chaque échevinat et chaque service s’empare, avec ses moyens, des conclusions des rencontres. Qui sont suivies d’effet : végétalisation des rues, sécurisation des piétons, valorisation du patrimoine culturel de la commune (comme Heritage Walks, un cycle de visites guidées patrimoniales, ou la dizaine de stèles explicatives qui seront installées à différents endroits de la commune)… Les services envisagent dès lors les choses autrement, des modes de fonctionnement différents, d’autres activités, pour rencontrer au mieux les attentes et besoins exprimés. »
Maëlle De Brouwer, échevine au Climat, à l’Environnement et à l’Egalité des genres et des chances, entre autres, ajoute que « ces rencontres rapprochaient, changeaient l’image des uns comme des autres, les perceptions. Elles réinstauraient une culture du débat sans clash, elles humanisaient. Pour autant, il faut absolument qu’on donne des suites, concrètes, à ces attentes, le regain de confiance dans la politique et la démocratie passe obligatoirement par là. »
« Le skatepark, proposé par des jeunes, c’est l’exemple parfait : on en avait l’envie mais sans le budget participatif, on ne l’aurait pas sans doute pas fait. »
De nouvelles rencontres citoyennes auront lieu avant la fin de la mandature.
Les Etats-généraux ucclois. Quatre soirées à la Maison communale, en septembre et octobre derniers. Citoyen(ne)s et agents communaux y ont débattu pour améliorer le cadre de vie de toute la commune. « Environ 150 citoyens ont participé, formulant une série de propositions, résume Perrine Ledan, dont dix recommandations prioritaires. Ça a permis de relever les points d’attention prioritaires pour le collège : protection des espaces verts, sécurisation des pistes cyclables ou, c’est très fort ressorti durant les rencontres citoyennes aussi, besoin de lien. De lieux pour se retrouver. Conséquence : tous les lieux existant dans lesquels on peut faire se rencontrer les habitants évoluent en fonction, comme les bibliothèques ou les centres récréatifs pour les seniors. Autre attente formulée : la fracture numérique. L’espace public numérique existant va mettre encore plus de choses en place pour y répondre, et les bibliothèques aussi via leur Espace public numérique mobile au Homborch notamment. Parmi les bénéfices des Etats généraux, le fait que l’administration, présente, s’est rendu compte de la force des attentes des habitants. L’exigence des délais, notamment. Et le citoyen a pu mieux comprendre certaines choses : tout ne dépend pas de la commune, mais parfois de la Région ou de la STIB. »
De nouveaux Etats-généraux, de la Jeunesse cette fois, démarrent en février. « En collaboration avec le service de la Jeunesse, on va proposer aux écoles, aux organisations de jeunesses et, dans certains quartiers, des partenaires socio-culturels, d’organiser des ateliers avec les jeunes pour les faire dialoguer et imaginer leur commune. Il y aura une enquête auprès des 12-26 ans sur leurs attentes en matière de mobilité, de culture, de loisirs… »
Les subsides Coup de pouce. Lancés en 2019, pour des projets de quartier,voire au-delà, proposés par les habitant(e)s.Deux appels par an. « Et déjà 40 subsides dégagés (entre 300 et 3 000 euros), comptabilise Perrine Ledan. Ce subside a permis aux habitants de porter des projets de quartiers qui font du lien et leur permettent de s’impliquer concrètement, comme capteurs de vitesse à Uccle Centre, le potager collectif de l’îlot de Cauter, un repair vélo monté par des scouts, la grainothèque de Semance, des fêtes de quartier, des mini-festivals de musique… On a ajouté des thématiques (transition écologique, transmission des savoirs, lutte contre l’isolement…), on évalue et affine sans cesse. »
Le budget participatif. Ou le soutien financierà des projets portés par minimum trois citoyens et permettant de « participer à l’amélioration du cadre de vie, renforcer la cohésion sociale et favoriser la transition et le développement durable de la commune », entre autres. Trois des trente projets rentrés en 2021 ont été choisis : la protection à Calevoet-Bourdon du marais du Keyenbempt, de ruisseau du Geleytsbeek et du Coba Pauwels (5 000 euros dégagés) ; la construction d’un skate-park et street workout (25 000 euros, site à définir) ; et l’installation sur la grande plaine du Homborch de bacs à condiments en hauteur favorisant l’accès des personnes à mobilité réduite, d’un espace à plantes mellifères, d’un hôtel à insectes, d’arbres fruitiers, de modules de jeux et d’équipements sportifs (25 000 euros). « La commune a analysé la faisabilité et le coût des projets, commente Perrine Ledan. Elle en a retenu 15 et les a soumis au vote des habitants, durant un mois, via la plateforme myopinion.be et vote papier. On a eu 2 000 votants, ce qui est une grande réussite pour une première. Le skatepark, proposé par des jeunes, c’est l’exemple parfait : même si on en avait envie, sans le budget participatif, on ne l’aurait pas fait. La commune complètera le budget obtenu pour réaliser une structure pérenne. On va augmenter l’enveloppe du Budget participatif (150 000 euros sur deux ans), pour susciter encore plus d’intérêt. Et on a rabaissé de 16 à 14 ans l’âge minimum pour porter un projet. »
« Pour l’Assemblée citoyenne Climat, on a 15 hommes et 15 femmes, de 16 à 56 ans ou plus et de tous les quartiers. »
L’Assemblée citoyenne pour le Climat. Elle doit proposer maximum quinze des trente mesures que la commune appliquera pour atteindre la diminution de 50 % de ses émissions de gaz à effet de serre en 2030. Trente citoyen(e)s y participent : 10 ont été tiré(e)s au sort parmi les 92 volontaires et 20 parmi 400 déjà tiré(e)s au sort dans le registre de population. « 53 personnes sur les 400 avaient répondu positivement, relate Maëlle De Brouwer, ce qui est au-dessus de la moyenne. Dans les candidatures comme dans les réponses positives au tirage au sort, il y avait plus d’hommes que de femmes, mais on avait décidé qu’il y aurait parité donc on a 15 hommes et 15 femmes, de 16 à 56 ans ou plus et de tous les quartiers. L’Assemblée est un tout gros rendez-vous de participation citoyenne. Par son ampleur, sa durée et ses enjeux. »
La première des sept réunions devait avoir lieu le 31 janvier.
Les consultations citoyennes sur le réaménagement d’un espace public. Comme celle du 17 janvier, pour Uccle Centre, et celle du 7 février, pour la place Saint-Job. Les habitants qui se sont inscrits, qu’ils soient riverains, commerçants ou usagers, se retrouvent, le temps d’une soirée, autour de ce que Thibaud Wyngaard appelle « une page blanche » pour « fixer des lignes de conduite »ou « imaginer des scénarios » comme dit Christophe Gouache avant que le collège, puis le conseil communal tranchent. Le cas échéant avec recours à un bureau d’étude – comme, pour la place Saint-Job, Arter, notamment intervenu dans le réaménagement de la place Fernand Coq, à Ixelles – ou une agence comme Strategic Design Scenarios, pour Uccle Centre. « Place Saint-Job, c’est le dossier de participation citoyenne le plus conséquent, affirme l’échevin à la Mobilité et à l’Espace public. Des moyens importants sont dégagés, avec des subsides de la Région. Il n’y a aucune demande de permis, aucun plan établi, mais Arter a effectué un travail de débroussaillage, en collectant des infos sur les impétrants, l’état de la place, des études de mobilité, de stationnement, en rencontrant l’association de commerçants, le comité de quartier, le centre des mineurs non accompagnés de la Croix-Rouge, les forains, les maraîchers… Beaucoup d’acteurs donc, pour établir un panorama de la situation. Il sera présenté le 7 février pour que les habitants et commerçants présents fassent émerger des priorités, des points d’attention dans le cadre d’un réaménagement de la place. »
Pour le plan communal de mobilité, la méthodologie a été différente. « On a organisé deux ateliers participatifs, virtuels, à cause de la pandémie, et une enquête en ligne, qui a obtenu plus de 1 000 réponses. C’était la phase du diagnostic, finalisée dans un document de 150 pages donnant des indications sur la situation pour les piétons, les cyclistes, les voitures, les transports en commun, les points noirs, les situations acceptables… On va entrer dans la phase des objectifs, avec, le samedi 19 mars, un atelier en présentiel, si les conditions le permettent, pour dégager les actions concrètes souhaitées et souhaitables. Après, ce sera au collège et au conseil d’approuver le plan. »
Les conseils consultatifs. Il y en a quatre, pour l’instant. Le conseil consultatif du Handicap (le plus ancien), et trois nouveaux ont été créés depuis 2019 : celui des Aînés, celui des Modes actifs (la mobilité) et celui de la Solidarité internationale, qui vient d’être lancé. « Ils permettent aux citoyens de s’impliquer très concrètement dans des projets ou recommandations faites au collège et au conseil communal, explique Perrine Ledan. L’échevin-e de tutelle assiste aux réunions, donc les avis remontent. Le conseil consultatif du Handicap, très actif, a ainsi fait prendre conscience des problèmes d’accessibilité dans les lieux culturels, et c’est devenu une priorité de la commune et il en va de même avec le Conseil consultatif des seniors par exemple. »
Un cinquième conseil est en gestation, celui de l’Egalité des genres et droits des femmes. « Son règlement de fonctionnement a été élaboré lors de quatre soirées-rencontres citoyennes très riches », précise Maëlle De Brouwer.
Le « conseil citoyen ». Il est inscrit la Déclaration de politique générale de l’actuelle majorité communale. « L’Assemblée citoyenne pour le Climat en est finalement la première concrétisation, reprend Perrine Ledan. Ces dispositifs participatifs à l’échelle d’une commune existent déjà à Forest et à Saint-Gilles. Ils permettent aux citoyens, comme dans le cadre des Etats généraux mais de manière plus formelle, de faire des recommandations au collège sur une thématique précise. Idéalement, nous espérons le mettre en place pour 2023 ou 2024. »
Les coulisses de l’administration. En 2019, dans le cadre du projet Vilco (ville collaborative). « On a proposé aux citoyens de découvrir comment fonctionne une administration autour d’un projet : planter un arbre dans une rue, se remémore Perrine Ledan. Les citoyens ont fait le tour de tous les services concernés jusqu’à une simulation de collège avec le bourgmestre. Ils ont pu notamment y découvrir qu’il faut un an pour planter un arbre, compte tenu de tous les intervenants et toutes les étapes obligatoires ! La complexité, le coût, la transversalité d’un tel projet leur a fait réaliser la difficulté de concrétiser chacun de nos engagements. C’était très instructif. »
Les demandes citoyennes inattendues. Comme lors des travaux de la chaussée d’Alsemberg. « Des commerçants et des riverains, raconte Thibaud Wyngaard, ont demandé l’extension au tronçon Asselbergs/Floréal de l’aménagement de plain pied, soit le même matériau de façade à façade, utilisé pour le tronçon Globe-Asselbergs. Avantage : c’est plus beau, plus harmonieux. Inconvénient : des emplacements de stationnement en moins. Ce n’était pas prévu dans la demande de permis initiale et dans l’enquête publique. Donc on a organisé avec la STIB et Bruxelles Mobilité une consultation des riverains et commerçants du tronçon, on a distribué un toute boite explicatif, 200 personnes ont répondu à un sondage en ligne, et à quasiment 90 % elles étaient en faveur de l’extension de l’aménagement. Qui a été intégrée et réalisée, portée et défendue par le collège. »
Sur wolvendael.be, le reportage (texte et photos) détaillant le déroulement de la consultation citoyenne du 17 janvier dernier, sur le réaménagement d’Uccle Centre.
Le rôle des agences extérieures
Arter pour la place Saint-Job, Strategic Design Scenarios pour Uccle Centre, Particitiz pour les Etats-généraux… Pourquoi des acteurs extérieurs dès qu’il est question de participation citoyenne ? « Parce qu’ils ont beaucoup plus d’expertise que nous dans la facilitation de ce genre de réunions, justifie Perrine Ledan. L’agence extérieure nous propose une méthodologie, sait comment animer, recontextualiser, permettre aux citoyens de partager leurs idées, faire émerger ces idées… C’est très important d’avoir quelqu’un de professionnel extérieur, d’innovant, de créatif. Ils font en sorte que le citoyen comprenne la pertinence et le fonctionnement des processus participatifs et ils apportent une caution extérieure, professionnelle et impartiale.
Et avec des effectifs autrement plus importants : ici, au service Participation citoyenne, il n’y a qu’une seule personne… Vu le nombre de projets et la transversalité de la participation, plusieurs services font appel à elle. Ce serait ingérable sans cet appui. mais il est certain qu’à long terme, ce serait plus efficient que les communes aient ces compétences en interne, pour ne pas devoir faire systématiquement appel à l’extérieur. »
Une cinquantaine de propositions ont été co-élaborées au cours de la soirée du 17 janvier dernier. Elles sont répertoriées sur la plateforme en ligne Monopinion : https://uccle.monopinion.belgium.be/processes/ucclecentre